By: Rezo Nodwes Mai 2022
Avec la montée des technologies de l’information et de la communication, de plus en plus d’institutions, d’élus nationaux utilisent les réseaux sociaux pour communiquer avec le grand public. Cette utilisation a élargi la capacité du citoyen à exprimer ses positions sur les initiatives de l’Etat et de critiquer les élus.
par Jameson Pierre-Louis
Mai 2022 ((rezonodwes.com))–
Ces quatre dernières années, les réseaux sociaux ont joué un rôle prépondérant dans le dénouement de la situation socio-politique en Haïti.
Cet article propose une perspective haïtienne sur le droit de bloquer sur le web.
Du tweet de l’acteur Gilbert Mirambeau, initiateur de la mobilisation pour la reddition des comptes du fonds Petro Caribe, en passant par l’opération « #Unfollow Président Jovenel sur Twitter » à l’annonce du constat de la caducité du parlement, le pouvoir des médias sociaux dans l’exercice des droits politiques en Haïti est un truisme.
Contrairement à ce que pourrait laisser penser ces actions de prime abord, elles ne révèlent pas du choix personnel des détenteurs des comptes « officiels » sur les réseaux sociaux.
Cette question révèle de la plus haute importance lorsqu’on l’examine à travers le cadre du droit à l’information, qui ne l’oublions pas est un droit fondamental de l’homme et du citoyen consacré par la déclaration universelle des droits de l’homme et la Constitution Haïtienne de 1987.
Bien avant d’analyser les réponses qu’a essayé d’apporter le droit haïtien, il faut attirer l’attention du lecteur sur l’universalité de cette problématique.
En effet, dans certains pays comme les Etats unis et en France, des citoyens victimes de blocage sur les réseaux sociaux sont allés jusqu’à entamer des actions en justice contre les détenteurs des comptes.
En 2019, un journaliste, Guillaume Tatu, proche de la France insoumise, a porté plainte vendredi 4 janvier contre Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, pour l’avoir bloqué sur Twitter.
Comme l’a rapporté le site la Gazette des communes,
« Aux Etats-Unis, Une affaire similaire a fait l’objet d’une décision de justice le 23 mai 2019. Une juge fédérale de New-York a demandé à Donald Trump à ne pas bloquer de citoyens sur Twitter. Les prévenants se prévalaient notamment du fait que le compte du président américain était un « forum public ». La juge Naomi Reice Buchwald a en effet considéré que Donald Trump devait laisser la possibilité aux citoyens américains de réagir à ses tweets, comme le veut la liberté d’expression protégée par le premier amendement de la Constitution américaine ».
Au Canada, Les professeurs Pierre Trudel de l’université de Montréal et Louis-Philippe Lampron de l’université Laval soutiennent que les citoyens détiennent le droit inviolable d’accéder à l’information publiée par les élus.
Les droits à la liberté d’expression et à l’information.
Le droit à l’information recouvre deux droits inséparables : celui d’informer et celui d’être informé. La liberté d’expression comprend le droit de rechercher, de recevoir et de répandre de l’information.
Les technologies de l’information et de la communication représentent de nos jours un vecteur unique qui permet à la liberté d’expression et le droit à l’information de prendre toute leur ampleur. Afin de garantir l’exercice de ces droits, l’accès aux TIC et aux forums publics doit être garanti.
Le droit à l’information du point de vue du droit haïtien.
La Constitution haïtienne en son article 28 dispose que : tout Haïtien a le droit d’exprimer librement ses opinions, en toute matière par la voie qu’il choisit.
Selon l’article 40 : obligation est faite à l’Etat de donner publicité par voie de presse parlée, écrite et télévisée, en langues créole et française aux lois, arrêtés, décrets, accords internationaux, traités, conventions, à tout ce qui touche la vie nationale, exception faite pour les informations relevant de la sécurité nationale.
Il ressort de ces articles que la Constitution haïtienne garantit les droits susmentionnés et pose les limites de leur exercice. L’haïtien a le droit d’exprimer ses opinions par toute voie qu’il choisit et peut les exprimer librement ; et de s’informer sur tout ce qui touche la vie nationale (y compris les informations que publient ces élus, détenteurs du pouvoir public et gestionnaires des institutions qui utilisent ses taxes) ; dès lors que l’exercice de ces libertés sont en conformité avec la loi et les principes internationaux.
Etant donné que la Constitution a été écrit à une période ou le web n’existait pas, certains pourraient arguer que les dispositions de la Constitution ne s’appliquent pas au cyberespace. Deux résolutions du Conseil des droits de l’homme de l’ONU sur la promotion, la protection et l’exercice des droits de l’homme sur Internet affirment que
« les mêmes droits dont les personnes disposent hors ligne doivent être aussi protégés en ligne, en particulier la liberté d’expression, qui est applicable indépendamment des frontières et quel que soit le média que l’on choisisse, conformément aux articles 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ».
Ces décisions internationales entérinent donc la survivance de nos droits fondamentaux en ligne.
Un rapprochement des dispositions de la Constitution et de la décision du Conseil des droits de l’Homme, nous permet de conclure que le blocage d’accès aux comptes « officiels » qui divulguent de l’information qui touche la vie nationale aux citoyens pour leurs critiques ou leur opposition aux gouvernements ou élus est une violation du droit à l’information et de la liberté d’expression.
Les conditions pour parler d’« officialisation » d’un compte.
Toutefois, faut-il préciser que la liberté d’expression et le droit a l’information ne nous permettent pas de violer les droits d’autrui. Il est une constance dans la jurisprudence internationale que tout individu dispose du droit à la vie privée sur Internet. Ce droit implique la liberté de choisir et de restreindre à tout moment ceux qui ont accès aux informations qu’on partage sur le web.
Autrement dit, dans leurs usages privés des réseaux sociaux, les individus sont libres de bloquer une personne à tout moment et de choisir ceux avec lesquels ils veulent se connecter.
Le blocage constitue donc une violation lorsque le compte sert de canal de communication officiel de certaines personnalités et institutions.
Les institutions publiques ont la responsabilité de partager les informations qui ne violent pas le secret de la correspondance et qui ne mettent pas en danger le bon fonctionnement des institutions avec le grand public. Et ne devraient pas restreindre l’accès aux comptes des réseaux sociaux que dans les cas où les propos des individus violent les lois nationales et les principes internationaux.
Les personnalités qui font usage officiel de leurs comptes comme les élus, les candidats aux postes électifs de l’Etat, les ministres, les maires, les secrétaires généraux et les anciens élus en autre, ne devraient pas bloquer les citoyens à cause de leurs critiques ou oppositions.
Néanmoins, il faut avouer que le sujet ne fait pas encore l’objet des débats publics ni de décisions de la justice haïtienne. Et qu’il est difficile de définir à quel moment, jusqu’à quel degré peut-on parler d’usage officiel des réseaux sociaux.
Dans la jurisprudence internationale, l’usage officiel recouvre toutes les utilisations par des candidats aux élections, les élus, les fonctionnaires de l’Etat et les institutions pour partager des informations qui intéressent la vie nationale.
Quelques exemples concrets pourront nous aider à cerner ce concept. Prenons le cas du ministre de l’éducation nationale actuel, étant donné qu’il utilise son compte pour communiquer les activités du ministère (les rencontres avec les partenaires nationaux et internationaux, les accords signés, les décisions prises par le ministère, entre autres) même quand ces informations sont republiées sur le compte du ministère fait un usage officiel de son compte.
Les comptes des secrétaires généraux et des ministres qui divulguent les décisions prises par les institutions publiques qu’ils représentent sont des usages officiels.
Les comptes des institutions publiques : les ministères, les Collectivités territoriales, les organismes autonomes et indépendantes et les services déconcentrés de l’Etat sont des usages officiels des réseaux sociaux.
Le débat sur l’utilisation officielle des réseaux sociaux et ses liens avec la liberté d’expression et le droit à l’information suscitent beaucoup de questionnements qu’il nous faut répondre, par exemple il est important de savoir quand prend fin l’usage officiel d’un compte sur les réseaux sociaux. En d’autres mots, le compte utiliser par un ancien président tout au long de sa présidence et sa campagne conserve-t-il son caractère officiel après la fin de son mandat ?
Cette question soulève du même coup les problématiques de la propriété de ces informations. Qui détient le droit de la propriété des informations publiées par un ancien président, premier ministre, des ministres au cours de leurs services après leurs mandats ? Ces informations tombent elles dans le domaine public ou privé ? Si oui ou non, à quel moment ?
Les actions pour être débloqué d’un compte officiel.
Maintenant que nous nous sommes mis d’accord que le blocage d’accès sur les réseaux sociaux constitue une violation des droits à la liberté d’expression et du droit à l’information dans certains cas.
Quid des recours possibles pour se faire débloquer d’un compte officiel ?
La première action possible est de soumettre la requête auprès du bureau de l’institution ou de la personnalité.
Le citoyen peut également décider de saisir la Justice afin de faire respecter ses droits. Une combinaison des articles 3 et 6 de la loi portant Organisation et Fonctionnement de l’Office de la Protection du Citoyen, nous apprend que l’OPC a un rôle important à jouer dans la promotion et la protection des droits fondamentaux sur Internet (rappelons que le Conseil des droits de l’homme de l’Onu a affirmé que nous conservons les mêmes droits hors ligne en ligne).
Jameson Pierre-Louis
Juriste