By Rezo Nodwes -2 mai 2022
Haïti/Mémoire (7 avril 1872 – 7 avril 2022)
Le cent-cinquantenaire de naissance d’Etzer Vilaire, digne et intègre synégore (III)
Par Idson Saint-Fleur
Diplômé comme avocat en 1894, durant plus de cinquante ans, Etzer Vilaire exerce cette profession et occupe d’autres fonctions se rapportant au droit : Commissaire du gouvernement près le Tribunal civil de Jérémie, Juge à la Cour de Cassation. C’est un juriste respecté, un professionnel du droit recherché pour sa science.
Comme avocat ou comme fonctionnaire judiciaire, il gagne sa vie sans contrarier la marche bienheureuse de la justice dans la société. Quand certains trafiquent le droit, l’illustre Jérémien, pétri de la morale chrétienne, guidé par une éthique inoxydable, cherche le bien, presque dans le sens platonique du terme.
Etzer Vilaire, Commissaire du gouvernement de Jérémie
Au début de la présidence de Nord Alexis, Etzer Vilaire, âgé de 31 ans, est nommé Commissaire du gouvernement près le Tribunal civil de Jérémie. Un poste occupé des années plus tôt par Alain Clérié, son grand-père du côté maternel. Il entre en fonction le samedi 21 mars 1903 pour démissionner quelques mois plus tard, soit le lundi 2 novembre 1903. Pourquoi ? Cet amant « du Juste et du Bien », comme le surnomme Me Ernst Trouillot, ne peut tolérer l’iniquité (1).
Numa Chassagne décrit fort bien la scène qui est à la base de cette démission. Elle traduit le profond attachement de Me Etzer Vilaire à la justice :
« Etzer Vilaire a occupé le Parquet durant quelques mois. Il y apporta ses soins et son attention. Avec lui, les lois furent fidèlement observées. Il dut se démettre de cette fonction à la suite d’une vive altercation avec la principale autorité de la Grand’Anse qui menaça de la fusillade un brave gaillard pour avoir, dans l’effervescence d’un incendie, et sans malice, renversé le drapeau du régiment pour se frayer un passage. Sans faiblesse et avec toute la fougue de son humeur, il se dressa devant le proconsul emporté, armé de la Constitution, il arracha la victime désignée des mains de la soldatesque. Il lui fut gagné un abri où il fut en sûreté. Immédiatement après, par télégraphe, il envoya sa démission au gouvernement » (2).
Ce fait homérique est préalablement rapporté, en peu de mots, par un autre grand quotidien de Port-au-Prince :
« Commissaire du gouvernement, il s’opposa énergiquement en 1903 à l’exécution sommaire de Berthuli Prin, et le tira des mains du peloton qui allait l’assassiner et le fit gagner le consulat. Le commandant militaire entra dans une grande colère et Mr (sic) Etzer Vilaire dut démissionner.» (3)
Ce geste, qui prouve qu’Etzer Vilaire n’est pas sur le balan quand il est question de faire résonner les mots du droit face à la cruauté la plus déterminée, est également signalé par Ernst Trouillot pour qui Me Etzer Vilaire « n’avait jamais hésité à mettre sa science et son courage au service du persécuté ou du déshérité du sort. C’est ainsi qu’au début du Gouvernement de Nord Alexis, où l’opposition menaçait les bases du régime politique d’alors, il défendit avec ardeur, sans propos déplacés, mais avec fermeté, un jeune ami qui comparaissait devant le Tribunal militaire. Le climat créé par les autorités militaires n’était pas pour l’effrayer. Car, sous l’apparence d’un frêle roseau, il était en réalité par le tempérament comme barre d’acier au service de l’honneur et de la justice.»(4)
Etzer Vilaire, défenseur de l’accusé du Vendredi Saint
Onze années plus tard, alors qu’il est directeur du lycée Nord Alexis de Jérémie, Me Etzer Vilaire est du nombre des personnalités de la cité convoquées, en toute urgence, le 10 avril 1914, vendredi de la Semaine Sainte, par le Général Eugène Carrié. L’officier militaire entend leur exposer le cas de Joseph Jolibois Fils, natif de la ville, accusé, après dénonciation d’Orphilia Numa, de fomenter une révolte armée qui devrait être lancée le lundi d’après le Dimanche Pâques.
Jolibois est mis aux arrêts. Le Général s’apprête à le confronter, devant cette assistance choisie, avec son dénonciateur. Jolibois tente de s’en prendre physiquement à Numa. La tension monte dans la salle. Dans cette ambiance exaltée, Me Etzer Vilaire, grave et résolu, se met debout pour déclarer ne rien croire à ce qu’il qualifie de « conte de prises d’armes » (5). Ceci dit, il décide de partir. Sur l’instance du Général Carrié, l’homme de loi se rassoit. Cependant, sa brève prise de parole a suffi pour classer cette affaire qui n’en était pas une vraiment. Quelques instants plus tard, l’officier militaire se résout, à contrecœur, à mettre un terme à la rencontre. Joseph Jolibois Fils est relaxé. La justesse de l’intervention de Me Etzer Vilaire fait loi. Le Général tout comme le délateur n’a plus d’argument. Ce complot ourdi à dessein de nuire à un enfant de la cité, ennemi des satrapes locaux et nationaux, s’évapore à la souffle de la voix de cet homme au physique frêle mais qui a la force de caractère, le courage de sa conviction pour faire le procès de toute sorte d’abus.
Etzer Vilaire : Juge à la Cour de Cassation
Durant la présidence de Louis Borno, Etzer Vilaire – trois fois bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de Jérémie – est nommé, le vendredi 24 novembre 1922, juge à la Cour de Cassation (6). Quatre ans plus tard, il renonce à ce poste, estimant que le Chef de l’Etat ne fait pas assez pour débarrasser le pays de la présence américaine. En ce temps-là, la décision d’Etzer Vilaire n’est pas appréciée à sa juste valeur par certains enjôleurs du pouvoir, tandis que le président Louis Borno, qui l’avait nommé à ce poste, semble l’avoir bien comprise selon le témoignage de Me Roger Boncy :
« A un flatteur qui insinuait que c’était là, geste de poète naïf qui s’attendait à être rappelé, le Président Borno répondit vertement : ‘’ Non, Monsieur. C’est le geste d’un homme convaincu et digne.‘’» (7)
Sur le parcours d’Etzer Vilaire dans la haute magistrature judiciaire, il faut rappeler qu’il est nommé juge à la Cour de Cassation, une première fois, par le président Louis Borno, le vendredi 24 novembre 1922. Il y fait son entrée le mercredi 13 décembre 1922 avec la prestation de serment par devant le président de cette Cour, Me Emmanuel Ethéart. Comme cela est préalablement mentionné, Etzer Vilaire démissionne de cette fonction le samedi 19 Mars 1927.
Cinq ans plus tard, soit le vendredi 8 Avril 1932, âgé de 60 ans, le président Sténio Vincent le réintègre à la Cour de Cassation. Il devient vice-président du tribunal suprême le dimanche 4 avril 1937. Une décision présidentielle le reconfirme à ce poste le mercredi 15 avril 1942. Etzer Vilaire est mis à la retraite dans le courant de l’année 1946. (8)
Comme avocat, parquetier, juge, Etzer Vilaire est constamment traversé par un sentiment élevé, celui de faire triompher la vérité, d’assurer le règne de la loi. Pour ce, il met à contribution la rigueur du bon sens, la beauté de l’imagination et la douceur du cœur.
Bibliographie
- TROUILLOT, Ernst ; Etzer Vilaire, juriste et magistrat in « Le Nouveau Monde » du samedi 8 avril 1972, No. 1770
- Chassagne, NUMA ; Etzer Vilaire (III) in « L’Action » du jeudi 26 juillet 1951, No. 260
- Le Nouvelliste du 8 avril 1920, No. 3754
- TROUILLOT, Ernst ; op.cit.
- SUPPLICE, Daniel ; Dictionnaire biographique des personnalités politiques de la république d’Haïti, C3 Editions, Imprimerie Brutus, Port-au-Prince, 2014, p. 722
- GAILLARD, Roger ; Fin du « Purgatoire » pour Etzer Vilaire, III- Visage d’un patriote (suite et fin) in « Le Nouveau Monde » du vendredi 18 décembre 1970, No. 1401
- BONCY, Roger ; Etzer Vilaire in « Le Nouvelliste » du jeudi 31 mai 1951, No. 22778
- TROUILLOT, Ernst ; ibid.
- SAINT-FLEUR, Idson ; Le Protestantisme haïtien face à l’oppression. Persécution contre les méthodistes. Occupation américaine. Campagne anti-superstitieuse, Imprimerie Média-Texte, Port-au-Prince, 2018
Petite-Source (Zèb-Ginen), La Gonâve
Idson Saint-Fleur