Flashback, 8 avril 2019. Aéroport de Port-de-Paix: on joue avec le feu

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By Rezo Nòdwès -21 avril 2022

par Newdeskarl SAINT FLEUR & Julien DEROY

Lundi 8 avril 2019 ((rezonodwes.com))– Beaucoup de gens ont peur des avions. Cette peur s’explique généralement par la faible probabilité de survie en cas d’accident. Bien que rares, par rapport au nombre de vols journaliers, les accidents d’avions sont des plus redoutables. Malgré tous les progrès de l’aviation, on n’est jamais à l’abri d’une fatale erreur humaine.

Les problèmes techniques et la météo ont quand même une grosse part parmi les causes de crash. On regrettera la disparition de ce jeune footballeur argentin, Emiliano Sala, victime d’un accident d’avion au large de l’île de Guernesey, dans la Manche le 21 janvier 2019. Une pensée également aux familles des 157 victimes du crash d’Ethiopian Airlines survenu le 10 mars dernier.

Notre pays est-il à l’abri de telles catastrophes aériennes?

Le risque d’accidents d’avion en Haïti

Plusieurs accidents d’avion ont été enregistrés en Haïti sans que les causes n’aient été révélées. A titre d’exemple, le 24 août 2003, 21 passagers et membres d’équipage ont péri dans un crash aérien entre Cap-Haïtien et Port-de-Paix (1). Peu après le décollage, le vol Let 410 de Tropical Airways s’est écrasé et a brûlé dans un champ de canne-à-sucre. Le 9 octobre 2009, un avion des Nations Unies transportant des militaires Brésiliens s’est écrasé 20 km à l’ouest de Fonds-Vêrettes (1).  LE CASA C-212 Aviocar 200 avait décollé de l’aéroport Toussaint Louverture et se dirigeait vers la frontière dominicaine. Les 11 militaires à bord étaient tous tués. Nous déplorons aussi la disparition des 3 passagers du vol domestique de la Salsa d’Haïti du 20 septembre 2011.

En plus de tous les facteurs que l’on connait, les risques d’accidents en Haïti sont exacerbés par l’état des aéroports. Ils sont pour la plupart des terrains de fortune sans aucune infrastructure digne d’un aéroport. Même l’aéroport international Toussaint Louverture n’est pas indemne sur le plan environnemental. Combien de fois cet aéroport a été inondé récemment? Ces épisodes d’inondation mettent en péril le bon fonctionnement de l’aéroport. Ils s’expliquent en partie par l’urbanisation chaotique de l’environnement immédiat de l’aéroport. Toute la végétation étant remplacée par du béton, il n’y a plus de place pour l’infiltration de l’eau de pluie.

Autre méfait de cette urbanisation, c’est tout ce qui est lié à l’activité des habitants de la zone. Nous nous souvenons d’un spot de Fritz Valesco dans les années 90. Il s’agissait de sensibiliser les jeunes sur les dangers de jouer aux cerfs-volants aux alentours de l’aéroport. Ces cerfs-volants pouvant être ingérés par les réacteurs des avions et provoquer un problème technique à la base d’une tragédie. Et le fait même qu’il y a des constructions voisines à l’aéroport, cela augmente fortement la vulnérabilité et donc le risque. Il y a en effet davantage de victimes potentielles en cas d’accident. C’est pour cela qu’il est toujours recommandé de construire les aéroports en dehors ou en périphérie des villes. Cela implique du même coup un contrôle de l’urbanisation pour empêcher l’extension des villes vers les aéroports.

Port-de-Paix, la périlleuse cohabitation entre avions, voitures, motocyclettes,… et piétons

Imaginez que vous preniez le bus et arriviez à Port-de-Paix pour la première fois. Vous posez vos bagages et commencez à visiter la ville. Vous déambulez à travers les rues, vous voyez le marché communal et les tas d’immondices associées. En effet, comme à Port-au-Prince, les marchands ne restent pas dans le bâtiment mais occupent les rues avoisinantes. Puis, vous êtes enfin content de voir des écoles, surtout la superbe architecture du Lycée Tertulien Guilbaud.

Vous continuez votre promenade jusqu’à l’entrée ouest de la ville. Et là, vous tombez sur une rue en terre battue plus large que les autres. Dans cet espace, vous voyez une décharge à ciel ouvert où des cochons s’invitent à dîner. Vous voyez des motocyclettes transporter des passagers dans un nuage de poussière. Vous voyez également des camions et des ânes transporter des provisions venant du marché ou des marchés. Car dans cette rue, il y a le marché seradòt où l’on commercialise surtout du charbon de bois et des produits agricoles.  Vous remarquez des garages. Il y a aussi et surtout des piétons. Beaucoup de piétons. Cette rue est dans un quartier résidentiel densément peuplé. Les murs extérieurs des maisons délimitent la rue. Des églises protestantes, au moins sept, pas des moindres de la ville, campées de part et d’autre de cette « rue » par laquelle passent des fidèles à la rencontre du Bon Dieu; Celui qui vous évite du malheur. Et votre guide, voulant jouer à la devinette, vous regarde et vous demande : « devine c’est quoi cet espace ? ». Vous qui ne voyez rien de spécial, vous mimez avoir la langue aux chats. Il sourit et vous dit que c’est … l’aéroport de Port-de-Paix. Oh, le choc !

Vous venez d’entendre l’une des affirmations les plus improbables qui soient. Vous ne voyez aucune infrastructure de base inhérente à un aéroport, ni de personnel au sol. Vous faites un regard intentionnel à 360 degrés, vous ne voyez pas d’aérogare. Vous ne voyez pas où peuvent être placés les contrôleurs aériens. Vous ne croyez pas votre guide. Jusqu’au moment où vous voyez un avion qui s’amène. Des enfants se précipitent pour assister à l’atterrissage. Un gars fait signe aux passants et aux simples curieux de vider l’espace. C’est à ce moment que vous comprenez que ce n’était pas une blague. L’aéroport est situé au beau milieu d’un bidonville. L’extrémité ouest par laquelle arrivent les avions est le petit Canaan de Port-de-Paix depuis la récente construction du pont historique reliant les deux parties du même département : bas nord-ouest et haut nord-ouest. Le début des travaux, pour septembre 2018, d’un nouvel aéroport avait été annoncé en grande pompe par le président Jovenel Moïse lui-même. Aujourd’hui, personne ne sait sur quel site ont débuté ces travaux. En tout cas, pas dans le nord-ouest.

On joue avec le feu

Déjà, les bruits produits par les avions sont une source de pollution pour les habitants. Maintenant, il faudrait quantifier la nuisance sonore par avion et le flux du trafic pour analyser l’impact sur la population.

Regardons les risques liés au site de cet aéroport. Selon les normes de l’aviation, il faut 100 hectares (ha) comme espace nécessaire aux installations aéroportuaires pour 1 million de passagers par an (2). Dans un article publié le 22 mai 2009 (3), l’Ingénieur Lionel Isaac alors Directeur Général de l’Autorité Aéroportuaire Nationale (AAN) affirmait que l’aéroport de Port-de-Paix recevait 60 000 passagers par an. Cet aéroport devrait faire 6 ha pour respecter les normes. Au départ, l’aéroport faisait même 10 ha, ce qui laissait des possibilités d’extension pour faire face à la croissance du trafic. Aujourd’hui, le pauvre espace appelé aéroport de Port-de-Paix s’est fait envahir par des déchets qui occupent près de la moitié de sa superficie. Et rien ne semble arrêter ces déchets qui continuent leur invasion. La superficie de l’aéroport ne répond plus aux normes.

Cette compétition pour l’espace et l’accroissement de la masse unitaire des avions doivent rendre les atterrissages de plus en plus difficiles. A moins de déplacer une bonne partie de la population. Nos dirigeants ont-ils le courage et les moyens de le faire?

Rien qu’en voyant l’état de la piste, on se demande comment est-ce possible. La bande de piste n’existe plus. Tout est en terre battue. La rugueuse surface de roulement est détériorée tant par l’érosion hydrique que par les véhicules qui la fréquentent à un rythme effréné. Parfois,  ce sont des missionnaires étrangers, usant de la terre, qui essayent de réparer les nids-de-poule, sous le beau regard de nos autorités. Et comme pour apposer son sceau officiel habilitant la cohabitation transport public – aéroport, l’Etat haïtien vient d’ouvrir sur la piste une déviation temporaire ou permanente passant par l’aéroport pour éviter l’entrée principale de la ville sous prétexte des travaux de reconstruction de la route principale, l’avenue des Trois-Rivières.  Paradoxalement, aucun arrêté ou simple notification n’a été diffusé sur la fermeture de l’aéroport jusqu’ici en « service ». 

L’aéroport est encerclé par des maisons qui lui sont limitrophes. L’état de la piste est lamentable. Il y a une absence criante d’infrastructures aéroportuaires. La piste est réduite par des décharges sauvages qui font parfois plus de 4 mètres de haut. Des piétons, des animaux, des camions, des voitures, des motocyclettes, des marchands, des garagistes, tous sont des usagers de la piste. Dans ce melting-pot anarchique, les risques d’accidents d’avion sont palpables et peuvent faire très mal aux passagers, aux usagers de la piste, aux habitants du bidonville et même au pays déclaré en 2011 « open for business » par le président d’alors. C’est dommage qu’à l’heure des grandes avancées de l’aviation civile réduisant au minimum les risques d’accidents, nous, nous augmentions localement ces risques. Haïti doit cesser d’être négativement un pays spécial !

Nous recommandons la fermeture immédiate de l’aéroport de Port-de-Paix. Nous comptons sur la diligence de nos dirigeants comme ils l’ont montrée le mois dernier dans le processus du renvoi ou non du Premier ministre Jean-Henry Céant. L’administration publique, réputée lourde, fonctionnait comme une montre suisse. Quand il faut faire le jeu politique pour garder le pouvoir, vous êtes on ne peut plus efficaces. Nous espérons que vous le serez dans la protection des vies et des biens de ceux que vous représentez.

Nous recommandons déjà à la mairie de Port-de-Paix de montrer son talent et son savoir-faire pour exploiter ce rare espace inhabité et y développer un projet vert (le poumon de Port-de-Paix !). Sur les 10 hectares, ce projet intègrerait: végétation, sites de récréation, infrastructures sportives dont piste d’athlétisme, entre autres. La jeunesse port-de-paisienne et du nord-ouest sourirait et dirait pour une fois merci aux autorités.

Newdeskarl SAINT FLEUR & Julien DEROY

newdeskarl@gmail.comjulienderoy@yahoo.fr

1.- https://www.1001crash.com/index-page-plane_database-lg-1-pays-haiti-accident-avion-par-pays-histoire-aeronautique.html

2.- Spill, C., & Spill, J. M. (1973). L’insertion de l’aéroport en milieu urbanisé. L’exemple de Marseille-Marignane et de Nice-Côte d’Azur. Méditerranée15(4), 49-72.

3.- https://lenouvelliste.com/article/70497/survol-de-lautorite-aeroportuaire-nationale