By Rezo Nodwes -14 avril 2022
Au bord de la stagflation, comme dans les années 70?
Jeudi 14 avril 2022 ((rezonodwes.com))–
Stagfla-quoi? Stagflation. Ce terme économique dérivé de la contraction des mots inflation et stagnation, apparu à la fin des années 60, décrit une période économique caractérisée par une forte inflation et une faible (voir même négative) croissance.
Il exprime aussi un véritable cauchemar pour les banques centrales et une situation qu’aucune entreprise ni particulier n’a envie de traverser. Or, avec des taux actuels d’inflation qui dépasse des records vieux de plusieurs décennies, les craintes de voir les économies américaine et canadienne entrer en période de stagflation augmentent de plus en plus. Ces craintes sont-elles fondées? Quel en est l’impact pour les entreprises canadiennes?
Les indicateurs de stagflation
Parmi tous les indicateurs économiques, trois sont d’une importance capitale: le produit intérieur brut, le taux de chômage et l’inflation. Ces indicateurs ne sont habituellement pas sources de bonnes (ou mauvaises) nouvelles en même temps.
On ne peut pas s’attendre à une forte croissance du PIB et un faible taux de chômage avec un faible niveau d’inflation. Il y a donc une forme d’arbitrage qui s’opère entre faible inflation, croissance modérée et taux de chômage élevé.
La stagflation survient lorsque cette sainte-trinité des indicateurs économiques déroge de la relation normale qui les unis. On se retrouve alors avec une forte inflation, une faible croissance – voire une récession – et un haut taux de chômage. Est-ce ce qui attend les économies nord-américaines?Agrandir le tableau
Les taux d’inflation de part et d’autre de la frontière canado-américaine se rapproche de manière inquiétante de ceux qui prévalaient lors de la dernière période de stagflation de 1970-80. À cette époque, l’inflation avait grimpé jusqu’à près de 15 % aux États-Unis et avait même été déclaré ennemie publique numéro un.
Le dilemme des banques centrales était alors colossal: elles jonglaient avec une économie qui avait besoin d’une stimulation de la demande pour augmenter le niveau d’emploi, mais qui devait également bénéficier de taux d’intérêt plus élevés pour calmer les hausses de prix.
La source précise d’une stagflation demeure sujet à débat parmi les économistes. Toutefois les deux derniers épisodes, ceux de 74-75 et 78-82, ont des éléments bien communs. Ils se déroulent pendant une crise énergétique et ont été précédés par des périodes de politiques monétaires expansionnistes.
Alors, est-qu’on y est? Pas tout à fait.
Effectivement, la guerre en Ukraine menée par aura accentué les déséquilibres entre l’offre et la demande sur les marchés énergétiques et aura fortement hausser le prix du pétrole brut. Et de un. Sur le plan monétaire, les gouvernements et les banques centrales ont déployé des mesures extraordinaires pour soutenir l’économie pendant la pandémie de COVID. Et de deux.
Le facteur décisif pour éviter la stagflation ne vient pas directement de la politique monétaire, contrairement à ce que plusieurs pourraient penser. L’avenir de l’économie dépend avant tout des anticipations des ménages et des entreprises.Agrandir le tableau
Le risque de stagflation devient plus important au fur et à mesure que les Canadiens s’attendent à ce que l’inflation reste plus élevée, plus longtemps. Or, la dernière enquête de la Banque du Canada a montré que de nombreux consommateurs étaient préoccupés par l’inflation aujourd’hui mais que les attentes à plus long terme restaient stables.
Tant que les ménages et les entreprises auront donc confiance en la capacité des autorités à contrôler les hausses de prix, et qu’ils n’anticiperont pas d’inflation future durable, alors cette forte inflation passera sans créer trop de dommages à l’économie.
Le pari des banques centrales
Décider de la meilleure direction que prendra une politique monétaire n’est jamais simple. Encore moins lorsqu’on ajoute des facteurs à hauts niveaux d’incertitude comme une pandémie, une guerre physique en Ukraine et une guerre économique contre la Russie.
Les banques centrales ont pris le pari que des conditions monétaires plus strictes calmeront la demande et ralentiront l’inflation galopante actuelle, tout en évitant un ralentissement trop important de l’économie (pour ne pas mentionner le fameux mot en R). Pour ce faire, les taux doivent monter et ce, rapidement selon les dirigeants de la Féd.Agrandir le tableau
Les hausses de taux directeur font leur chemin dans l’économie pendant plusieurs mois. Une seule hausse de taux directeur aura des effets plusieurs mois encore après son annonce. Voilà pourquoi le risque de voir les banques centrales resserrer un peu trop leur politique monétaire, et ainsi ralentir un peu trop l’économie, inquiète certains observateurs.
D’autant que cette situation s’est justement produite lors des derniers épisodes de stagflation qui auront été marqués par deux récessions, alors que le taux directeur avait bondi jusqu’aux alentours de 20 % au Canada et aux États-Unis.
Y-a-t-il lieu de s’inquiéter?
Même si les prix resteront élevés pour un certain temps encore, l’inflation mesure la variation des prix d’une année à l’autre.
Si on continue de croire au mécanisme d’offre et de demande, on espère à la même période l’an prochain que l’offre se sera remise de la COVID, que les tensions sur les chaînes d’approvisionnement auront commencé à s’améliorer et que les hausses de taux d’intérêt auront suffisamment ralenti la demande pour permettre aux entreprises de reprendre leur souffle. On s’attend effectivement à ce que les prix reviennent à un niveau de croissance plus soutenable pour l’économie en 2023.Agrandir le tableau
Pour l’instant, les économies canadiennes et américaines reposent toujours sur des bases solides. L’inflation est certes élevée et les banques centrales doivent s’y attarder, mais le taux de chômage est très faible et la croissance demeure solide. Les entreprises ont de la difficulté à répondre à la vigueur de la demande, signe qu’il y a peu, voir pas, de capacité excédentaire actuellement dans l’économie.
La croissance économique devrait donc se diriger vers un atterrissage en douceur en dépit du niveau élevé d’incertitude auquel elle fait face.