Le père Jean Pilon, membre des Clercs de Saint-Viateur, a écopé d’une peine de trois ans et demi de prison mercredi matin au palais de justice de Salaberry-de-Valleyfield pour des crimes sexuels commis contre 12 enfants. Le religieux — qui aurait fait encore plus de victimes — sera inscrit à vie au registre national des délinquants sexuels.
L’homme de 79 ans a plaidé coupable mercredi à 12 chefs d’accusation de grossière indécence pour des gestes à caractère sexuel commis de 1982 à 1990 contre 12 anciens élèves du collège Bourget, à Rigaud.
Le juge Bertrand St-Arnaud a accepté la suggestion commune de 42 mois d’emprisonnement présentée par la Couronne et la défense. Le père Pilon, qui était arrivé au palais de justice avec sa valise, a été menotté à la fin de l’audience et a pris directement le chemin des cellules sous les yeux de 11 de ses victimes.
Avant le prononcé de la peine, neuf victimes ont pris la parole en livrant en salle de cour des récits poignants sur les effets dévastateurs qu’ont eus les agressions sur leurs vies.
« J’ai gardé le silence pendant 33 ans », a souligné avec émotion Brian Ford, qui a été agressé par deux membres des Clercs de Saint-Viateur, dont Jean Pilon, lorsqu’il était pensionnaire au collège Bourget de 1981 à 1986. « C’est un combat de tous les jours pour évacuer les émotions négatives et malsaines, a-t-il poursuivi. J’ai encore des flash-back. »
L’homme, qui agit à titre de représentant pour l’action collective intentée contre les Clercs de Saint-Viateur, a demandé au juge St-Arnaud de lever l’ordonnance de non-publication visant à protéger son identité. « Je veux lancer un message aux autres victimes : que si elles en viennent à trouver le courage, de ne pas hésiter à porter plainte », a mentionné celui qui est aujourd’hui policier.
Une ordonnance de non-publication protège l’identité des 11 autres victimes, maintenant dans la quarantaine et la cinquantaine. Dans les témoignages bouleversants qu’elles ont livrés, plusieurs victimes ont raconté avoir souffert de dépression, d’anxiété ou de choc post-traumatique. Certaines ont fait de la prison, d’autres ont commis des tentatives de suicide et plusieurs ont dû composer avec des dépendances.
« Vous avez volé ma vie. Vous avez fait le choix de briser mes rêves, de couper mes ailes », a lancé une victime, ajoutant que pardonner lui est impossible. Un autre homme a raconté avoir perdu toute estime de lui. « J’ai fait de la prostitution. C’est ça que tu m’as appris, Jean », a-t-il lancé en fustigeant du regard son agresseur, demeuré impassible.
Une femme a également raconté avoir été traitée de menteuse lorsqu’elle a tenté de dénoncer le père Pilon. « Ben voyons donc, ça se peut pas, il est aux p’tits gars », lui aurait-on répondu.
Une autre victime a interpellé l’accusé en lui demandant de dévoiler ouvertement combien d’enfants il a agressés et qui sont les autres agresseurs dans l’ordre religieux. « J’ai l’impression qu’il y avait une organisation dans tout ça pour protéger les pédophiles. Ça ressemble à du crime organisé », a lancé l’homme, qui n’a pas obtenu de réponses à ses questions.
Des excuses
Le père Pilon, qui a notamment occupé le poste de directeur des études au collège Bourget, a par la suite pris la parole pour demander pardon aux victimes présentes. « Je suis démoli. […] Je m’excuse profondément pour les gestes posés, a-t-il dit. J’ai manqué de jugement. Je n’ai pas réalisé à quel point ça pouvait vous bouleverser. »
Des excuses qui n’ont pas semblé convaincre certaines des personnes présentes. « C’est n’importe quoi », « c’est un spectacle », ont lancé deux victimes alors que le religieux parlait.
En salle de cour, plusieurs victimes avaient réclamé une peine plus sévère que les trois ans et demi de prison proposés conjointement par la Couronne et la défense. Devant les journalistes, la procureure de la Couronne, Me Mylène Brown, a fait valoir que « ce qui était important aujourd’hui, c’était de démontrer que, peu importe les années qui se sont écoulées, peu importe le statut qu’on pouvait avoir à l’époque, peu importe l’âge qu’on peut avoir, il n’est jamais trop tard pour que justice soit rendue ».
En échange de la reconnaissance de sa culpabilité à 12 chefs d’accusation, 14 autres chefs qui avaient été déposés à l’endroit de Jean Pilon ont été abandonnés. L’homme avait déjà été déclaré coupable en 2017 d’une infraction à caractère sexuel commise à l’endroit d’une autre victime ; il avait alors écopé d’une peine de 12 mois de prison avec sursis.
Devant le juge St-Arnaud, Me Brown a souligné avoir été interpellée par la culture du silence qui régnait chez les Clercs de Saint-Viateur. « On savait que ces abus-là se passaient et il n’y avait pas de dénonciations. […] Lorsqu’il y a eu les premières rumeurs que M. Pilon avait un comportement déviant, ce que la congrégation a fait pour éviter la récidive, c’est de transférer Monsieur vers un autre pays : il a été missionnaire en Haïti. »
Également présent au palais de justice de Salaberry-de-Valleyfield, Me Alain Arsenault, qui pilote l’action collective contre les Clercs de Saint-Viateur, a dévoilé que Jean Pilon aurait fait bien plus de victimes. Sur les 350 personnes qui se sont jointes à l’action collective, 58 disent avoir été victimes du père Pilon. « Et il risque d’y en avoir plus », a mentionné l’avocat. Celui-ci dit croire qu’une entente à l’amiable pourrait être conclue en septembre avec l’ordre religieux pour dédommager les victimes.