By Rezo Nodwes -22 juin 2020
Lundi 22 juin 2020 ((rezonodwes.com))— Dans le système juridique français, le contournement du Parlement par le pouvoir exécutif pour légiférer par l’adoption des « décrets-lois »existait depuis les 3e/4e République. C’est ainsi que le pouvoir réglementaire français disposait d’une extension exceptionnelle de compétence législative pour adopter des mesures, qui relèvent en principe du domaine des assemblées législatives( Parlement).
Cette extension de compétence, après avoir été abandonnée, est reprise par la Constitution française de 1958 sous forme « d’ordonnance » à laquelle peut recourir l’exécutif dans le but de mettre en œuvre une politique publique.
Cependant, cette compétence extensive est non seulement consacrée par l’article 38 de la Constitution de 1958, tributaire d’une autorisation préalable de la représentation nationale(Parlement) à travers l’adoption d’une loi dite « d’habilitation » et ne peut être exercée que dans un cadre exceptionnel pour une durée limitée.
Par une imitation irréfléchie, il apparaît que la pratique inconstitutionnelle de « décret-loi » en Haïti par la succession des Gouvernements ( pas seulement sous la présidence de Monsieur Jovenel MOÏSE) soit empruntée maladroitement du droit constitutionnel français. Car l’article 296 de la Constitution de 1987 amendée évoque curieusement le maintien des « décrets-lois » conformes à la Constitution, sans pour autant les attribuer à aucun des trois pouvoirs.
Dans ce contexte, si le pouvoir réglementaire (le pouvoir exécutif) se fondait sur cette disposition transitoire pour s’assimiler illusoirement au législateur, il méconnaîtrait tout simplement les articles 59, 59-1 et 60 relatifs au principe sacro-saint de la séparation des pouvoirs emprunté de « L’esprit des Lois » de Montesquieu.
Ainsi, il importe pour le prochain législateur de se pencher sur l’amendement de la rédaction lacunaire de l’article 296 susmentionnée et la contradiction instituée par l’article 190 bis de la Constitution par rapport aux articles 59 à 60 relatifs à la séparation des pouvoirs, en ce qu’il fait relever de façon incompréhensible les décrets et règlements du pouvoir exécutif, étant en principe des actes administratifs réglementaires, de la compétence du Conseil constitutionnel.
Or, l’appréciation de la conformité d’un acte administratif à la constitution, sans l’immixtion d’une loi qui y fait écran( loi-écran), relève péremptoirement de la compétence de la justice administrative en vertu de la séparation des juridictions. Alors, préconiser l’intervention du juge constitutionnel dans l’appréciation des actes de l’exécutif face à la Constitution, c’est confondre le pouvoir d’interprétation du Conseil constitutionnel sur renvoi préjudiciel en cas de problème sérieux d’inconstitutionnalité à la notion de juge de constitutionnalité. Car, au stade du renvoi préjudiciel, le juge constitutionnel ne tranche pas mais se borne tout simplement à apporter un éclaircissement à une disposition constitutionnelle querellée et n’est juge que de la loi dans le but d’amender ( corriger) des erreurs législatives, puisqu’un juge administratif ou juge judiciaire peut légalement apprécier la conformité d’un acte administratif ou judiciaire à la Constitution ( exemple de l’article 26-1 de la Constitution en matière d’appréciation de légalité d’arrestation et de détention par le Doyen en tant que juge judiciaire) . Ce faisant, il n’empiète pas sur les attributions du juge constitutionnel.
À ce jour , il convient de concéder qu’au sein du système juridique haïtien les notions d’arrestation et de détention demeurent la sphère de compétence exclusive du législateur ( Parlement) au regard de la disposition constitutionnelle ( art.24-1).
Partant, une éventuelle adoption du nouveau Code pénal et du Code de Procédure pénale par l’exécutif sous forme de « décret-loi » sera entachée d’inconstitutionnalité à l’instar de tous les actes administratifs réglementaires ( décrets) adoptés sous forme de « décrets-lois »par les Gouvernements antérieurs.
Sincèrement, tout semble mélanger dans la pratique du droit en Haïti malgré les énormes capacités de nos juristes. En ce sens, un débat pertinent sur le droit constitutionnel s’avère sérieux en Haïti afin de ne pas biaiser la formation juridique des étudiants et éviter la confusion du droit au risque de compromettre le fonctionnement de l’État de droit de manière effective et scientifique. Me Guerby BLAISE Enseignant-chercheur En Droit pénal et Procédure pénale École doctorale de Paris Nanterre