By Rezo Nodwes -12 mai 2020
Par : Vitalème ACCÉUS
Mardi 11 mai 2020 ((rezonodwes.com))– Nous sommes en Haïti et c’est connu. Lorsque des mesures de restriction, quelles qu’elles soient, sont prises, elles sont diversement interprétées par les Haïtiens. Elles sont donc appliquées à des échelles variables, si encore elles sont appliquées.
Certaines personnes y croient et s’y conforment rigoureusement. D’autres n’y croient pas du tout au Coronavirus et mènent une sorte de campagne sournoise visant à casser le respect de ces mesures. D’autres encore y croient modérément et s’adonnent à une application de jour en trompe-l’œil, et à une violation de nuit.
Ne parlons pas ici de ceux qui se rangent béatement derrière leur foi religieuse, et qui claironnent, à se rompre les cordes vocales, du » Dieu est au contrôle » ou du » Bondye Bon », jetant ainsi à la poubelle les mesures qui ont été dictées.
N’oublions pas non plus ceux qui donnent dans une forme d’occultisme ou vodouesque où ils invoquent des laos bienveillants , et conseillent ensuite des potions magiques ou des pratiques pour le moins bizarres en vue de conjurer le sort.
Que dire de cette autre catégorie ? Les fatalistes. Ceux qui disent qu’il faut bien mourir de quelque chose et qui foulent tout au pied sans vergogne dans un nihilisme inexplicable.
En Haïti , et certainement ailleurs, il y a tout cela. Mais restons avec la situation haïtienne , cette sorte d’exception dont on se gargarise bien souvent et qui est résumée dans la fameuse formule aux conséquences incalculables : « Haïti est un pays béni de Dieu ».
Face à la pandémie du VIH SIDA (plus de 35 millions de morts dans le monde jusqu’en 2019 selon certaines statistiques), les mesures pour éviter cette maladie sont connues : abstinence, fidélité, préservatif. Des campagnes de sensibilisation ont été menées à outrance. Mais chacun a insidieusement développé sa ruse qu’il s’est imposée comme norme de conduite pour échapper au virus. Au cours de certaines conversations dans les coins de rues en Haïti , les plus courageux laissaient entendre souvent que » le Sida n’existe pas ». Et que ce serait une invention des » blancs » pour faire fonctionner l’industrie du caoutchouc (préservatifs) et autres produits pharmaceutiques, notamment les Anti rétro viraux (ARV) et autres matériels connexes entrant dans le traitement de cette maladie. Ils évoquent sur leur lancée les gros sous engloutis dans le financement des campagnes de sensibilisation, dans les ateliers de formation et la recherche. Tout un réseau de business dont le seul objectif serait de faire des profits financiers. D’autres thèses anti-mesures contre le Vih Sida faisaient valoir qu’avec un coït interrompu bien maîtrisé, les partenaires se mettraient à l’abri d’une contamination.
Quand survient le choléra , les mêmes attitudes charriées par une insouciance totale et une irresponsabilité criante, ont réapparu, avec leur lot de commentaires surprenants. “Mikwòb pa touye ayisyen” revenait de manière récurrente dans les discussions de groupe. Ce proverbe populaire haïtien, qu’on traduit par « Les microbes ne tuent pas les Haïtiens », indique qu’il existe une croyance selon laquelle les Haïtiens sont si habitués aux microbes, et sont devenus si résistants, qu’aucun microbe ne peut plus les affecter. La population a bien été prévenue – à travers les messages de prévention – que l’épidémie de choléra est liée aux mauvaises conditions de vie et de santé. Poutant de nombreuses personnes avaient remis en question cette idée et pensaient au contraire que le choléra n’était pas une maladie «naturelle» liée à de mauvaises conditions de vie.
Il en est de même aujourd’hui pour le nouveau coronavirus (Covid 19), où » l’exception haïtienne » tend à prendre le dessus, sinon à compromettre l’efficacité des mesures prises par le gouvernement de facto.
» L’homme noir résiste au coronavirus », » le virus meurt sous la chaleur », » Çà là, c’est une affaire de blanc », » si tu bois du thé gingembre (boisson traditionnelle) et tu bois de Aleo vera «lalwa» tu ne peux pas être contaminé par le coronavirus », anisi que le thé «asorosi» ou d’armoise , entend-on dans les rues Haïtiennes .
Pire, les dispositions à prendre, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour éviter la contamination, notamment les rassemblements de plus de 10 personnes selon les pays , les salutations, le respect de la distance de 1m entre les personnes, ne sont pas respectés. Pas plus que se laver régulièrement les mains au savon, tousser dans un mouchoir et le jeter à la poubelle, éternuer dans le creux du coude sont des consignes auxquelles de nombreux Haïtiens demeurent encore réfractaires.
Quant au respect des mesures fortes prises par le gouvernement de facto, notamment la fermeture des lieux de loisirs (bars, boites de nuit, restaurants, ), la ruse l’emporte sur la responsabilité. Certains de ces établissements de luxure, où le contact étroit entre humains est inévitable, échappent au contrôle des autorités, souvent laxistes, s’ils ne bénéficient pas tout simplement d’un passe-droit, parce que le proprio est un gros chef de la République ou la maîtresse d’un gros bonnet.
De plus, des dizaines de personnes, ne respectant point le principe de distanciation physique, ont été remarquées, depuis le début de la pandémie en Haïti , devant le Kiosque Occyde Jeanty, au Champ de Mars , ainsi que dans d’autres endroits, dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince ou en province, pour se faire enregistrer ou se procurer la carte dermalog.
Plusieurs individus à travers tout le pays ( Vallée de Jacmel, Hinche, Cote -de-Fer, Jérémie ) après avoir été testés positifs au Covid-19 ont trompé la vigilance du personnel médical de l’hôpital ou les autorités locales et se sont évanouis dans la nature. C’est tout cela » l’exception haïtienne », qui si l’on n’y prend garde, se transformera en cauchemar haïtien .
Les grandes puissances ou pays les plus développés de ce monde sont en train de prendre des mesures drastiques et veiller à les faire strictement respecter, sans aucune complaisance. C’est pour l’heure la seule arme contre le virus. Comme l’a indiqué un observateur, la Chine qui est venue à bout du Coronavirus, n’a opéré aucun miracle. Sa population s’est tout simplement montrée disciplinée et les dirigeants rigoureux.
Au détour d’une conversation sur la lutte contre la propagation du nouveau Coronavirus (Covid 19), un ami a lancé cette phrase pleine de sens : » On n’y arrivera pas sans sacrifices ».
Laissons donc de côté » l’exception haïtienne » et consentons ensemble les sacrifices qu’il faut pour contrer le virus, pour éviter d’être nous-mêmes sacrifiés.
Vitalème ACCÈUS
acceus2009@gmail.com