ART. 3. NOUS CONCÉDONS, À CES CONDITIONS, PAR LA PRÉSENTE ORDONNANCE, AUX HABITANTS ACTUELS DE LA PARTIE FRANÇAISE DE SAINT-DOMINGUE, L’INDÉPENDANCE PLEINE ET ENTIÈRE DE LEUR GOUVERNEMENT.
Pour bien s’assurer de l’appauvrissement de l’Etat d’Haïti, lire le calcul de la France en 1825 pour nous exiger le paiement de 150 millions de francs :
On avait calculé qu’en 1789, les produits de Saint-Domingue montaient à 150 millions de francs, et qu’en 1823, Haïti en avait fourni à la France, à l’Angleterre et aux Etats-Unis pour 30 millions, ce qui laissait 15 millions de revenu net. En outre, on disait que « la valeur des biens-fonciers dans les colonies se calcule sur dix années de revenu ».
Raisonnant ainsi, le gouvernement français fixa l’indemnité à 150 millions. En 1826, M. de Villèle avait exposé des motifs de la loi de répartition, aux chambres françaises.
Port-au-Prince, soirée du 4 juillet 1825 : « Lecture de l’Ordonnance du Roi français Charles X » par le baron de Mackau, capitaine des vaisseaux du Roi, commandant d’une division de l’armée navale. Le président Jean-Pierre Boyer en avait pris lecture dans l’après-midi du lendemain.
La plupart des circonstances que nous allons relater sont puisées du Télégraphe du 17 juillet 1825, qui en a rendu compte officiellement ; le texte de l’Ordonnance royale s’y trouve aussi. Nous citons celle de M. de Mackau à Boyer, d’après l’original même qui a été sauvé du pillage commis en 1843, après le départ de Boyer, parmi les papiers d’Etat qu’il avait laissés au palais national.
Une commission formée par le président Boyer pour donner audience à l’envoyé du roi Charles l’invita à une
conférence qui eut lieu chez le secrétaire général de la présidence dans la soirée du 4juillet 1825; il y en eut une autre le 5, de midi à quatre heures. Mais M. de Mackau, dès là première rencontre, avait donné lecture de l’ordonnance qui suit, une dette qui arrivait avec beaucoup plus d’engagements que celui des fonds de PetroCaribe, malgré tout dilapidés par les haitiens eux-mêmes :
CHARLES, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre, à tous présents et à venir, salut.
Va les art. 14 et 73 de la Charte ;
Voulant pourvoir à ce que réclament l’intérêt du commerce français, les malheurs des anciens colons de Saint-Domingue, et l’état précaire des habitants actuels de cette île;
Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :
Art. 1er. Les ports de la partie française de Saint-Domingue seront ouverts au commerce de toutes les nations.
Les droits perçus dans ces ports, soit sur les navires, soit sur les marchandises, tant à l’entrée qu’à la sortie, seront égaux et uniformes pour tous les pavillons, excepté le pavillon français, en faveur duquel ces droits seront réduits de moitié.
Art. 2. Les habitants actuels de la partie française de Saint-Domingue verseront à la caisse générale des dépôts et consignations de France, en cinq termes égaux, d’année en année, le premier échéant au 31 décembre 1825, la somme de cent cinquante millions de francs, destinée à dédommager les anciens colons qui réclameront une indemnité.
Art. 3. Nous concédons, à ces conditions, par la présente Ordonnance, aux habitants actuels de la partie française de Saint-Domingue, l’indépendance pleine et entière de leur gouvernement.
Et sera la présente Ordonnance sellée du grand sceau. Donné à Paris, au château des Tuileries; le 17 avril de l’an de grâce 1825, et de notre règne le premier.
Signé : CHARLES.
Par le Roi, le pair de France, ministre secrétaire d’État de la marine et des colonies,
Signé : Comte DE CHABROL.
Visa :
Le président du conseil, ministre et secrétaire d’État des finances,
Signé : J. DE VILLÈLE.
Vu aux sceaux:
Le ministre et secrétaire d’État; garde des sceaux,
Signé : Comte DE PEYRONNET.
Les commissaires haïtiens n’avaient pas pu entendre la lecture d’un tel acte, sans y faire diverses objections que sa singulière rédaction et ses clauses leur suggéraient. Ces objections sont rapportées par M. de Mackau lui-même, dans les explications écrites qu’il se vit ensuite forcé de donner, pour obtenir l’acceptation de l’ordonnance; on va les lire bientôt.
Il y eut de la part des haitiens, ce soir du 4 juillet 1825, un profond sentiment d’indignation, à l’idée seule que l’indépendance d’Haïti, conquise avec gloire par les Haïtiens qui luttèrent contre les troupes aguerries de la France républicaine, serait, non pas reconnue et proclamée comme un droit, et un fait préexistant à la Restauration des Bourbons, mais concédée par l’un d’eux comme une sorte de grâce et sous une forme si contraire à toutes les espérances de la nation ; par une ordonnance dont les termes équivoques décelaient une arrière-pensée, une voie à mille interprétations, puisqu’il s’agissait de l’Indépendance du gouvernement des habitants actuels de Saint-Domingue, et non pas « du gouvernement du peuple libre, indépendant et souverain d’Haïti.
Enfin, Macau dit aux commissaires haïtiens qu’il n’était que porteur de l’ordonnance royale, qu’il ne pouvait la modifier en quoi que ce soit, et que, si elle n’était pas acceptée telle quelle, il lui restait une autre mission à remplir, en faisant allusion aux moyens coercitifs qu’il était autorisé à employer.
Les commissaires, à ces mots, furent unanimes à lui répondre : que la République saurait se défendre contre toute violence, toute agression ; que la résolution de la nation, à cet égard, existait depuis le 1er janvier 1804; et pour lui en fournir une preuve, le secrétaire général Inginac fit sortir de son cabinet, plusieurs torches incendiaires qu’il y tenait
depuis 1814, et qui étaient destinées, lui dit-il, à la destruction de sa propriété où il logeait. Il ajouta : « J’y mettrai le feu moi-même ! »
Dessalines, après avoir battu à Vertières, le 18 novembre 1803, les forces françaises commandées par Rochambeau, proclame l’indépendance de Haïti, le 1er janvier 1804. Mais la France attend 1825 pour accepter de reconnaître cette indépendance. Le président Boyer accepte de payer 150 millions de francs, afin d’indemniser les colons expropriés. Après avoir versé 30 millions, Haïti obtient en 1938 que le reliquat de la dette soit réduit à 60 millions et un traité de paix et d’amitié est alors signé pour régler définitivement le contentieux…
Source : Moniteur, 1825, n° 222.