Décembre 2019 – Le Président Jovenel Moïse, dans une conjoncture politique marquée par une vive contestation de différents secteurs de la vie nationale, a fixé le coût de la licence 4G en Haïti à 300 millions USD environ. C’est ce que rapporte le quotidien centenaire Le Nouvelliste dans son édition du 12 décembre 2019. S’agit-il d’une stratégie de négociation ? Ou d’une manœuvre de diversion ? A la vérité il peut s’agir des deux à la fois.
Cependant en France, en 2011, le Ministre de l’économie numérique , Monsieur Luc Besson, avait fait une annonce pareille lors de l’attribution des nouvelles licences 4G dont le prix avait été fixé à 2.5 milliards d’euros. Cependant il avait pris soin d’ajouter » Rien n’interdit l’entrée d’un nouvel opérateur « . Et on connaît la suite : Le gouvernement français avait donné le coup d’envoi de l’appel d’offres en juin 2011, après avis de la commission consultative des communications électroniques. Et les licences 4G ont été attribuées en toute transparence.
Dans le cas d’Haïti, après cette annonce du Président Jovenel Moïse relativement au prix de la licence, y aura t-il , comme en France , un appel d’offres pour l’attribution des nouvelles licences 4G ?
On connaît la position des opérateurs Télécom en Haïti le sujet. Un d’entre eux s’était publiquement exprimé très clairement sur la question . En effet , interrogé sur la nécessité d’avoir une bonne connexion iternet pour faciliter l’innovation, le CEO de la Digicel, Maarten Boute, avait informé que la Digicel a besoin d’unr licence 4GLTE abordable » Pas à des prix qui ne sont pas realistes pour Haïti » .
Que se passera t-il donc si les opérateurs Télécoms refusent de payer les 300 millions USD pour la licence 4G en Haïti , fixés par le Président Jovenel Moïse?
Cette interrogation nous amène à essayer de comprendre comment les prix des premières licences Télécoms ont été fixés dans le passé et à poser la question de la rationalité des prix des licences en Haïti aujourd’hui.
La rationalité des Prix des licences Télécoms. Comment s’en assurer ?
Les marchés des télécoms connaissent un développement sans précédent depuis une dizaine d’années en Haïti; surtout depuis l’arrivée de la technologie GSM en 2004. Ce secteur constitue un vecteur incontournable de production de richesse, atteignant parfois plus de 10 % du PIB national.
Cette opportunité économique a attiré de nombreux opérateurs télécoms . Lors de la naissance de ce marché en Haïti en 2004, les attributions de licences se sont faites dans un contexte d’incertitude sur le succès des services télécoms , les modèles d’affaires des opérateurs ou encore la rentabilité des investissements de ces derniers. En conséquence, les prix des licences étaient difficiles à quantifier. Les opérateurs télécoms ont obtenus des licences à des tarifs relativement bas .
A l’heure où certaines de ces licences arrivent à expiration en Haïti ( Exemple : la licence de la Digicel arrive à son terme l’année prochaine en Haïti), la question de la valorisation de ces dernières se repose. Basés sur des critères peu objectifs lors des premières attributions en 2004 en lien avec le contexte de l’époque, l’Etat haïtien possède aujourd’hui des données empiriques sur lesquelles ils sont en mesure de fonder une hypothèse de prix plus juste.
Le cabinet Microeconomix(Cabinet de référence en France et au niveau européen,), appelé en 2015 pour mener une étude pour un régulateur télécom d’Afrique d’Ouest dans un cas de négociation de prix de licence, est revenu sur le processus que devrait engager un pays pour déterminer un prix de licence télécom sur une base rationnelle.
La rationalité des Prix des licences : l’exemple africain
L’analyse des attributions des licences télécoms attribués depuis la libéralisation de ce secteur dans les économies africaines montre une très forte disparité dans les prix fixés et conduit à s’interroger sur la rationalité dans les décisions de détermination de ces prix. A titre d’exemple, le prix de la licence 3G attribuée au Nigéria à MTN a atteint 110 millions d’euros, soit plus de 10 fois les prix de la licence 3G en Côte d’Ivoire pour les opérateurs Orange, MTN et MOOV. Ces derniers prix étaient eux-mêmes cinq fois supérieurs aux prix constatés pour les opérateurs de licence 3G au Burkina Faso.
« Certains critères pourraient expliquer ces variations de prix : le nombre d’habitants du pays (prix proportionnel à la densité de la population), la durée de la licence (le prix croit avec le nombre d’années) ou encore le niveau de richesse du pays (le prix croit avec le niveau du PIB par habitant) » indique Sidy Diop, Vice-président de Microeconomix. « Pourtant, les exemples des prix de licences au Bénin ou au Sénégal sont contre intuitifs. Ils sont tous les deux élevés alors même que le PIB par habitant de ces pays est inférieur à des pays plus riches qui présentent des prix 5 fois moins élevés (Ghana ou Mauritanie par exemple). L’analyse de données empiriques sur les liens entre niveau de prix des licences et facteurs économiques objectifs nous ont permis de conclure que la détermination des prix des licences télécoms n’a pas été basée sur des données et réflexions rationnelles mais résulte probablement de négociations pures entre Etats et opérateurs. Les prix des licences peuvent ainsi varier fortement selon le pouvoir de négociation des acteurs, l’importance de la licence pour l’opérateur ou encore les besoins financiers des Etats. »
A l’heure actuelle, plusieurs licences sont sur le continent africain en négociation pour renouvellement ou nouvelle attribution (attribution des premières licences 4G, renouvellement des licences 2G et 3G). Par exemple, le Cameroun a attribué en 2015 une licence 3G/4G à MTN Cameroun à 125 millions d’euros pour une durée de 15 ans.
Les gouvernements et opérateurs ont aujourd’hui l’opportunité de fonder leurs négociations et décisions sur des éléments plus rationnels que par le passé. Ils disposent désormais de données et statistiques détaillées sur la rentabilité de l’exploitation d’une licence de téléphonie mobile et l’industrie des télécoms de façon générale pour permettre des décisions efficaces en matière de tarification des licences.
Dans ce contexte, des méthodes plus rigoureuses de calcul des prix de licence sont à la disposition des régulateurs et gouvernements. La sélection d’une méthode en particulier relève de l’arbitrage voulu entre, d’une part, la précision et la rationalité économique de la méthode, et, d’autre part, sa simplicité de construction.
Une méthode rationnelle de fixation du prix d’une licence télécoms
De façon théorique, trois objectifs peuvent être poursuivis par les Etats dans la détermination du prix des licences télécoms :
1) fixer un prix permettant de maximiser les recettes de l’Etat : les licences payées par les opérateurs permettent aux Etats de disposer de recettes non négligeables pour leur budget annuel ;
2) fixer un prix permettant de favoriser les investissements et les innovations des opérateurs : le titulaire de la licence ne doit pas être pénalisé dans ses investissements qui permettent d’assurer l’accessibilité technique des télécoms sur le territoire ;
3) fixer un prix de licence permettant d’avoir des tarifs faibles sur les marchés de détail : le titulaire de la licence doit offrir aux consommateurs des services à des prix abordables (accessibilité tarifaire).l
« Une analyse des données empiriques sur les prix des services télécoms en Afrique Subsaharienne permettent déjà de montrer qu’il n’existe pas de lien entre le niveau des prix de licence et le caractère abordable des tarifs » précise Sebastien Douguet, économiste chez Microeconomix. « En effet, dans certains pays comme le Sénégal ou le Burkina Faso, le poids des dépenses télécom dans le panier des ménages dépasse 20% alors même que les prix de licence y sont très bas (inférieurs à 5 millions d’euros). A l’opposé, des pays comme le Ghana et le Nigeria sont caractérisés par un poids modéré des dépenses télécom malgré des prix de licence élevés. Fixer des prix de licence faibles ne garantit pas d’avoir des tarifs faibles aux consommateurs.»
Les objectifs de l’Etat dans la fixation des prix des licences se résument alors en la maximisation de recettes de l’Etat et l’accessibilité technique des services télécoms. Autrement dit, la fixation d’un prix optimal de licence doit répondre à l’optimisation suivante : le prix doit permettre de maximiser les recettes de l’Etat sous contrainte que l’impact sur la rentabilité du titulaire de la licence soit raisonnable, c’est-à-dire que sa rentabilité lui permette toujours de réaliser les investissements et innovations nécessaires. Pour développer un tel modèle de calcul du prix optimal d’une licence, Microeconomix, dans le cadre d’une de ses missions récentes en Afrique de l’Ouest, a ainsi modélisé la rentabilité d’un opérateur sur la durée de la licence future et a étudié l’impact du prix de la licence sur cette rentabilité.
La publication du rapport de la Commission de Primature et celui des Experts engagés par le Président , signe de transparence dans le processus d’attribution de la licence en Haïti. ?
Pour l’instant , dans le cas d’Haïti, après cette annonce du Président Jovenel Moïse, les opérateurs n’ont pas encore réagi officiellement. Ils espèrent très probablement qu’il s’agit d’un saut d’humeur du Président, et que passé ce instant « désagréable », les fêtes de fin d’année aidant, Jovenel Moïse oubliera les déclarations publiques qu’il avait faites sur la question des prix des licences en Haiti.
Cependant le Président , lors de la dite annonce, a également dit qu’il avait besoin d’argent pour le financement de projets dans le domaine de l’agriculture. Il n’est pas évident que ce besoin d’argent frais disparaitra avec la Noël et le Nouvel an. Donc les opérateurs ne doivent pas trop compter sur le » Pere Noël » pour obtenir une licence 4G a un prix abordable.
Seul un processus transparent d’attribution de ces licences peuvent leur garantir un prix juste et acceptable.. Dans ce cadre , le rapport de la Commission mise en place par la Primature et celui des Experts engagés par le Président peuvent aider a comprendre comment le gouvernement a abouti au coût de 300 millions pour la licence 4G et ainsi ramener la confiance et la sérénité au niveau des opérateurs Télécoms.
Plus important encore, le Président dit constater que le secteur des communications en Haiti fonctionne dans un flou qu’il s’attelle à éclaircir. A ce niveau le diagnostic est correct . Cependant seuleS de profondes réformes institutionnelles, légales et réglementaires pourront venir à bout dudit » flou ». Ce » flou » qui embrase et dévore tout le secteur des TICs en Haïti depuis plus d’une dizaine d’années, qui fait le bonheur d’une petite minorité tout en laissant la grande majorité de la population avec des services essentiels inexistants ou de mauvaise qualité.