Editorial du 16 décembre 2019, par Jean P. Larivaud
Lundi 16 décembre 2019 – Au cours de mes diverses interventions à l’émission Espace Diaspora (1), j’ai souvent insisté sur le concept d’organisation de l’Etat. Et, dans la chaleur de nos échanges, il m’est même arrivé un soir d’affirmer que la dictature est de loin préférable à l’anarchie. Naturellement, mes collègues de micro ont poussé les hauts cris : il faut être diablement nostalgique de l’ancien régime pour oser formuler une telle affirmation. Et pourtant !
« La dictature, pouvait-on lire autrefois dans le petit Manuel d’instruction civique, c’est l’Etat dirigé par un seul chef qui peut être un roi ou un empereur ». Et de citer comme exemples, Henry 1er, Jacques 1er, Faustin 1er. Point n’est donc besoin de recourir aux traités de Dalloz pour savoir ce qu’est un dictateur. Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines, Henry Christophe, Alexandre Pétion ont tous été des dictateurs. Ils avaient au moins l’excuse de ne connaitre d’autres modèles que les dictateurs européens. Mais leurs successeurs ont continué sur la même pente, avec plus ou moins de bonheur : Sylvain Salnave, Florvil Hyppolite, Nord Alexis, Antoine Simon, pour ne citer que ceux-là, n’étaient point à ce qu’on sache, des parangons de vertus démocratiques.
C’étaient pour la plupart des généraux (d’opérette peut-être), qui croyaient dur comme fer dans la suprématie de la force sur le droit, pourvu que cette force soit consacrée au bien commun. Les quelques maigres réalisations d’un Henri Christophe, d’un Florvil Hyppolite ou d’un Antoine Simon sont certainement dues à un sens de la rigueur qui n’a rien à voir avec le mode de démocratie en vogue dans l’Haïti de 2019.
En outre, à considérer l’état d’esprit qui prévaut en Haïti depuis trente-quatre ans, on est en droit de se demander si la démocratie prônée par l’Occident correspond à notre mentalité. Trente-quatre longues années de gabegie administrative, économique et politique, marquées du sceau de l’intolérance, de l’exclusion et de la pensée unique ! Les Nations-Unies ont beau parler de progrès démocratique, on ne voit rien venir d’autre que l’anarchie, et encore l’anarchie.
Nous sommes précisément le 16 décembre, jour symbolique, s’il en est. C’est en effet à cette date, en 1990, qu’ont été censées plantées les semences de la démocratie et de l’espoir. Où sont passées ces semences ? Sont-elles tombées au bord du chemin, pour parodier l’évangile, et emportées par les oiseaux du ciel ?
Ne nous voilons donc pas la face et posons-nous courageusement la lancinante question. L’Haïtien est-il démocrate ? Est-il tolérant ? Admet-il le droit à la différence ? Ce qui se passe en Haïti depuis juillet 2018, est-ce bien là ce que souhaitaient les constituants de 1987 ? Les privations, les souffrances, l’état d’abandon ou végète la grande majorité de la population justifient-ils le chaos qui sévit actuellement au pays ? Et n’est-on pas en train de donner rétrospectivement raison à François Duvalier, un demi-siècle après sa mort ?
Peut-être est-il venu le temps pour les clercs haïtiens de questionner l’histoire et de considérer les dictateurs et la dictature sous un nouveau jour ? En l’an 44 avant Jésus Christ, Jules César s’est déclaré dictateur à vie. On parle encore de la dictature d’Adolf Hitler, de Benito Mussolini, de Francisco Franco, de Fidel Castro ou de Rafael Leonidas Trujillo. C’étaient tous des adeptes de la pensée unique, prêts à pourfendre leurs adversaires, mais pour la plupart, c’étaient aussi de grands patriotes et des bâtisseurs de civilisation.
Mais ce sont surtout des personnages fascinants, à défaut d’être sympathiques. Trois-quarts de siècle après la chute du troisième Reich, Adolf Hitler fascine encore, A preuve, ces foyers de nazisme qui s’allument de temps en temps aux Etats-Unis d’Amérique. Voulez-vous encore d’autres preuves ? Voyez l’admiration de Donald Trump pour Vladimir Putin ou Kim Jong-un, et rappelez-vous que l’admiration est toujours un premier pas vers l’imitation. Vous comprendrez alors pourquoi l’actuel président américain se moque éperdument des pouvoirs du congrès.
Vous êtes-vous demandé pourquoi la cote de popularité de Donald Trump demeure si élevée, en dépit des multiples charges qui pèsent sur lui ? La réponse, à mon humble avis, c’est qu’il est fascinant. L’électorat américain se préoccupe fort peu de savoir si le président est un menteur pathologique, un sexiste, un raciste, un xénophobe, un antisémite, un prévaricateur ou un traitre envers sa patrie. Des propagandistes avisés ont su lui faire comprendre que grâce à Trump, l’économie tourne à plein régime, que le chômage est à son plus bas niveau depuis cinquante ans, et que les démocrates, Nancy Pelosi et Chuck Schumer en tête, constituent l’ennemi public numéro 1.
Appelez cette fascination du leadership, de la force de persuasion ou de conviction, peu importe. C’est cette fascination qui fait les grands leaders, et qui explique qu’on leur concède certaines monstruosités regrettables. Donald Trump a une fois affirmé publiquement qu’il pourrait ouvrir le feu sur un passant en plein Manhattan, et demeurer encore plus populaire. De plus, n’affirma-t-il pas au cours d’un meeting de masse en août 2016, qu’il était riche et n’avait brigué la présidence que pour combattre la corruption et restaurer la grandeur de l’Amérique ? C’était évidemment un double mensonge, car on sait aujourd’hui que Trump, banqueroutier permanent, a voulu devenir président surtout pour renflouer ses coffres.
Mais n’avez-vous pas l’impression d’avoir déjà lu cette phrase ? « Dieu me garde de considérer cette cause comme étant ma cause. Non, c’est la vôtre. Je ne suis entré dans ce combat qu’à cause de vous » Paroles de François Duvalier, qui lui ont certainement conquis de nouveaux adeptes. Et quand j’entends parler de Steve Miller, proche conseiller du président, et champion du pouvoir présidentiel absolu, je crois revoir le député de l’Arcahaie, l’honorable Luckner J. Cambronne, solliciter pour le docteur Duvalier le pouvoir à vie sans limitation de durée !
C’était en 1964, en Haïti, dont Graham Green qualifiait les dirigeants de comédiens. Mais comme on dit ici, guess what ? En 2019, soit quelque cinquante-cinq ans plus tard, le leader de la majorité républicaine au sénat américain, Mitch McConnell, assure que ses vues sur le procès de destitution en cours sont tout à fait conformes à ceux du président Trump. Ainsi, le président du jury appelé à se prononcer sur une affaire criminelle rassure lui-même l’accusé qu’il n’a point à s’inquiéter. Le verdict est donc connu avant tout jugement. Mais qui a dit que les parlementaires de l’ère Duvalier étaient des béni-oui-oui ?
Pour terminer cette petite balade dans les allées de la dictature, disons que n’est pas dictateur qui veut. On peut ne pas l’aimer, du moins, on le craindra, même si on ne le respecte pas. C’est pourquoi je ne suis pas de ceux qui considèrent l’actuel président haïtien comme un dictateur. Il n’en a point l’étoffe, sauf à envisager un revirement spectaculaire. Et Si Jovenel Moise était vraiment un dictateur, le Premier ministre Lapin n’aurait nullement besoin d’inviter les fonctionnaires publics aux obsèques de la belle-mère du président, comme le mentionne un bulletin circulant sur WhatsApp. Dans les bonnes habitudes des Haïtiens, les gens auraient, s’il le fallait, emprunté vêtements et chaussures, juste pour pouvoir serrer la main du président auxdites funérailles.
Jean P. Larivaud, Floride, Etats-Unis d’Amérique, 16 décembre 2019
(1). – L’émission Espace Diaspora est diffusée depuis les studios de KPN Radio, Boston, USA, du lundi au jeudi, de 8 :00 PM à 10 :00 PM, avec comme animateur principal, le journaliste chevronné Jean-Samuel Trézil. On peut l’écouter sur Audio Now (605 562 4648), sur la page Facebook de Trézil, sur diverses stations de radio à l’étranger et en Haïti, dont Espace FM, 94.1.