Mercredi 13 novembre 2019 – Après avoir entendu ce jour l’un des brillants avocats de la société Sogener sur la radio scoop FM, il importe de rappeler trois(3) choses importantissimes.
Pour mémoire, le brillant avocat a affirmé que la résiliation du contrat ne peut être à la seule initiative de l’État haïtien. En outre, il a poursuivi ses propos en estimant que la seule participation de l’EDH à l’évaluation de la quantité d’électricité fournie par la Sogener exclut la commission de l’infraction de surfacturation.
Par ailleurs, il a bifurqué ses réflexions sur la qualité de mesures conservatoires concernant ses ordres d’interdiction de quitter le territoire dans le cadre du dossier Petrocaribe, devenu désormais affaire Petrocaribe (à noter que le dossier Petrocaribe n’est devenue « affaire »qu’à partir de la saisine de la plainte avec constitution de partie civile de l’État le 3 février 2019 puisque le concept « affaire » ne peut être juridiquement utilisé que suite à un litige dont la justice est clairement saisie).
L’affaire Sogener S.A serait-elle le bon moment pour les juristes et le législateur haïtiens de faire adapter la justice dans sa globalité à l’évolution du droit ?
En effet, il importe de souligner que cette réflexion ne tend pas à remettre en cause la compétence indiscutable du confrère mais vise à contribuer à l’évolution de notre droit et à l’efficacité de la justice.
D’abord, en vertu des articles 900 et suivants relatifs à la force obligatoire du contrat, il convient d’établir une différence entre la résiliation du contrat et la résolution judiciaire de celui-ci.
En effet, juridiquement, la notion de résiliation vise la rupture des effets d’un contrat de prestation de services à partir d’une date donnée sans avoir effet rétroactif sur les prestations antérieures. En revanche, la résolution influe rétroactivement sur les effets du contrat et touche la validation de la conclusion de celui-ci ci. Ainsi, la résiliation peut revêtir un caractère amiable, judiciaire ou de plein droit. Toutefois, la résolution ne peut intervenir que dans deux hypothèses cumulatives.
Premièrement, la résolution est possible dans le cadre d’une inexécution des obligations contractuelles ou d’une exécution contractuelle entourée de manœuvres frauduleuses. Deuxièmement, la saisine de la justice par la partie intéressée ou victime est incontournable pour aboutir à la résolution du contrat. Alors, la réflexion du très brillant confrère LÉGER sur l’impossibilité de l’État pour procéder à la résiliation du contrat est discutable et ne peut être tenue pour vraie.
Car, si le contrat synallagmatique emporte des obligations réciproques eu égard à l’accord des volontés des parties, la résiliation d’un contrat de prestation de services peut être de plein droit en fonction des clauses contractuelles. En l’espèce, il suffirait que l’État haïtien justifie la clause servant de base légale à cette rupture unilatérale en prouvant l’inexécution des obligations contractuelles de la part de son cocontractant ou la mauvaise foi de la Sogener.
Dans ce cas, cette rupture unilatérale peut être contestée par la Sogener devant le juge des contrats en rapportant la preuve contraire à celle de l’État haïtien. Honnêtement, il serait compréhensible si le brillant avocat -politique évoquait l’illégalité de la résolution du conseil des ministres ayant servi de base légale à la rupture de ce contrat liant l’État à la Sogener au regard de l’illégalité du gouvernement LAPIN, dont la signature est apposée sur le document supposément contraignant ( voir en ce sens art. alinéa 2 de l’article 165 de la Constitution de 1987 amendée et la lettre de démission de l’ancien PM CEANT qui n’a jamais renoncé à ses droits de liquider les affaires courantes).
Au vrai, l’État aurait dû emprunter dans sa démarche juridique la voie de la résolution judiciaire du contrat face à la Sogener puisque l’expertise d’évaluation de la quantité d’électricité fournie par la Sogener est l’œuvre exclusive de l’État haïtien, et est donc entachée de partialité. Dans ce ce contexte, cette résiliation de plein droit de l’État, possible que cela pourrait-être si cette clause existait, paraît abusive en vertu de la partialité de dite expertise. Dès lors, la chance de la réussite de l’État dans sa démarche de résiliation de plein droit semble minime, voire impossible.
Ensuite, les arguments de l’avocat relatifs à l’impossibilité d’établir l’infraction de surfacturation du seul fait de la participation de l’État à l’évaluation des services fournis ne sont pas négligeables mais risquent d’être peu pertinents et convaincants . En l’espèce, en vertu de l’article 5.8 de la loi du 9 mai 2014 relative à la corruption, il convient de rappeler que le premier comportement illicite en matière de surfacturation doit inévitablement émaner d’un représentant de l’État, d’un agent public ou d’un fonctionnaire. En l’espèce, la seule participation de l’État n’exclurait pas pour autant la surfacturation de la Sogener.
Cependant, la Sogener ne peut être à l’initiative de cette surfacturation sans les instructions avérées ou cachées de l’État. De ce fait, il y aurait deux choses à retenir:
a) l’État a participé à son propre dommage et ne pourrait prétendre à des dommages-intérêts de la part de la Sogener, et
b) le prétexte de surfacturation doit être préalablement contesté(e) par l’État dans le but de tester la bonne foi de la Sogener et de justifier n’avoir pas donné instructions à la Sogener pour émettre des évaluations surfacturées.
Autrement dit, au regard de la loi du 9 mai 2014, l’infraction de surfacturation ne peut être constituée qu’en prouvant l’existence d’un contrat criminel entre un représentant de l’État et les dirigeants ou un des dirigeants de la Société Sogener S. A puisque l’article 5.8 affirme que cette infraction suppose l’initiative préalable d’un représentant de l’État.
Dans ce cas, les avocats de l’État haïtien affaibliraient le président de la République sur le plan politique puisque le maintien du Directeur général de l’EDH, représentant fondamental de l’État dans le cadre de l’exécution de ce contrat, pourrait être traduit à raison comme la volonté du chef de l’État de préférer une gouvernance dominée par la corruption à des persécutions politiques puisque la surfacturation ne pourrait exister sans l’intervention de ce dernier ou des personnes dont il aurait légitimement le contrôle.
Et ce sont aux seules conditions de l’innocence du représentant de l’État et de la mauvaise foi de la Sogener après contestation des factures de la part de l’État que l’infraction de surfacturation pourrait être constituée . Donc, il est évident que le fondement de la surfacturation de l’État pour poursuivre la Société cocontractante pourrait tomber sur la face bétonnée des contre-arguments pertinents des avocats de la société poursuivie.
Enfin, l’ancien commissaire du gouvernement a révélé n’avoir jamais émis des mandats d’amener à l’encontre des anciens dirigeants de l’administration MARTELLY mais avait de préférence ordonné des mesures conservatoires à travers des interdictions de quitter le territoire à l’encontre de ces derniers.
Pour rappel, ces propos offrent l’opportunité de rappeler une énième fois que les mesures conservatoires s’appliquent à l’encontre des biens corollaires de la commission de l’infraction criminelle ou délictuelle. En revanche, l’interdiction de quitter le territoire constitue une mesure restrictive de liberté au sens de l’article 25 de la Constitution.
Donc, le brillant ancien commissaire du gouvernement aurait dû préférer la notion de restriction de liberté aux mesures conservatoires puisqu’il s’agissait des personnes physiques. Peu importe sa subjectivité et ses arguments discutables, l’évolution de notre droit ne peut voir le jour sans l’incontournable contribution scientifique de Me. Danton LÉGER.
Me. Guerby BLAISE
Avocat et Enseignant-chercheur
en Droit pénal et Procédure pénale
École doctorale de Paris Nanterre