La lutte et sa limite

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10 novembre 2019

par James St-Germain

Dimanche 10 novembre 2019 – La lutte entamée contre le système nommé « système peze souse » ces derniers temps est ralentie dans son élan parce qu’elle étale visiblement un schéma simpliste de la cohésion sociale haïtienne.

Elle ne donne pas l’impression qu’elle s’imbrique dans la formation historique du pays. La dynamique de la société construite sur la dualité (urbain / rural) est censée reproduite dans le mouvement. La paysannerie qui représente encore le plus grand espace géographique du pays est écartée. Par la, elle montre toute la limite de sa vision. D’où son caractère marginal.

La marginalité que je diagnostique  est une caractéristique de toutes les luttes du 20ème et du  21ème siècles. Ce n’est pas un hasard, elle est en quelque sorte le relais des rapports antagoniques développés entre la paysannerie et les classes possédantes. Ceci dit, les mouvements récents reflètent les contradictions entre les citadins et les paysans. Elle est alimentée par les institutions de socialisation. 

Cette marginalité participe dans la dynamique d’exclure les paysans dans le processus du développement et de la production. Ce n’est que cette forme d’exclusion qui alimenterait l’exode rural. L’utilisation de leurs fils dans la politique et dans les factories est une forme d’occultation de la réalité.

La bataille n’aurait pas une portée rurale puisque les classes dirigeantes n’auraient pas intérêt à modifier le schéma social imposé. La dislocation  de la société est stratégique; elle constitue un véritable moyen d’enrichissement pour les citadins. 

La lutte choisit délibérément de ne pas être rurale afin d’éviter que le problème de la tenure foncière ne soit pas posée.  Tout le malheur du pays est  venu de la répartition inégalitaire de la terre.  Il demeure le principal problème que l’on refuse d’apporter une réponse viable.  

Le système qui se révèle inadapté et inégalitaire était dirigé principalement contre les masses cultivateurs, fraîchement libérés de l’esclavage. Il était monté contre leur aspiration, c’est pourquoi les premières luttes étaient formulées autour de la question agraire. Les révoltes des Piquets n’ont pas manqué d’être un combat pour un système inclusif. 

La paysannerie occupait la scène politique jusqu’en 1915 afin de freiner l’Etat dans sa démarche d’imposer le développement capitaliste. La bataille de Charlemagne Péralte en compagnie des Cacos contre l’occupation américaine est censée la dernière action paysanne dirigé contre le système. 

La communication impossible qui existe entre les élites et les paysans empêche que la crise ait toute sa dimension révolutionnaire. Le changement du système semble hypothétique. Les conditions objectives sous-tendant la transformation de la société doivent s’incruster principalement dans le manque de dialogue franc développant entre l’urbain et le rural. 
Pour que la crise ait un aboutissement d’une mobilisation multifactorielle, la paysannerie doit être un acteur important dans la prise des décisions.  

Toute la résistance de cette catégorie est rentrée dans perspective. La lutte qui ne gagne pas encore le milieu rural traduit leur refus de collaborer aveuglément et pourtant ils sont les vrais victimes du système.  Ce sont eux qui sont privés les services sociaux de base. Ils sont les grands pendants du développement capitaliste. Celui-ci reposant sur l’importation imprime une économie ultra-libérale qui participe dans la destruction de la production nationale. Cette économie ne leur est pas profitable; elle est responsable de leur décapitalisation. 

Les élites ont par conséquent une hantise. Trop de contentieux à vider. Le renversement de ce système serait en premier bénéfique pour les paysans. C’est là la principale raison de l’écart des paysans comme acteurs dans la lutte. Ma réflexion propose pour qu’il y ait l’intégration de toutes les couches sociales dans la tentative visant à trouver une issue à la crise. Avant d’être politique, elle est sociale. 

James  St Germain 
Sociologue/ professeur de philosophie
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1-  CASIMIR, Jean: la culture opprimée. Imprimerie Lakay, Delmas, 2001.
2-Texte issu du débat entre Gérald MATHURIN, agronome, ancien ministre haïtien de l’agriculture, et Gilles DANROC, OP, le 19 mars 2007 à Montpellier.
3-MANIGAT, Lesly François: la politique agraire d’Alexandre Pétion. Ed. La phalange, Port-au-Prince, 1962.