Y a-t-il une opportunité pour Haïti à saisir dans la crise actuelle, tel un violent ouragan ?
par Abner Septembre
Mercredi 6 novembre 2019 – Face à un gouvernement qui veut se maintenir au pouvoir et une opposition qui veut à tout prix son départ, il y a déjà sur la table plusieurs propositions.
Le seul lieu commun entre les protagonistes est le « changement de système », chacun en effet pour des raisons différentes et certainement pour des résultats différents. Mais, personne ne songe à poser la question de fond : quel gouvernement faut-il vraiment pour Haïti, tenant compte du contexte, des expériences antérieures, du choix démocratique actuel et du retard à rattraper ?
Encore faut-il se demander quel devrait-être sa nature et son principe ? Dans ce second cas, Montesquieu nous dit que « Sa nature est ce qui le fait être tel, sa structure particulière ; son principe est ce qui le fait agir, « les passions humaines qui le font mouvoir ». La réponse à cette question exige qu’il faut aller encore plus loin qu’un contrat social ou un pacte de gouvernabilité.
Elle exige une lecture diachronique et synchronique de notre histoire et une analyse critique tant de notre culture profonde que de notre réalité existentialiste, qui devraient permettre de concilier les intérêts contradictoires entre groupes ou corps sociaux qui sont appelés à coexister.
Cette crise devrait donc être une opportunité à saisir pour répondre de manière responsable à cette question cruciale, en vue d’éviter de refaire les mêmes erreurs du passé, tant évoquées dans la mise en garde de l’opposition dite « Alternative », et de trouver finalement le chemin qui permettra de stabiliser durablement le pays.
La deuxième opportunité qui parait totalement échapper aux protagonistes, qui fait aussi très peu la une de l’actualité, est cette occasion ratée lors du tremblement de terre de décongestionner la capitale et de désamorcer la bombe à retardement qu’elle constitue, à la seule différence qu’aujourd’hui le retour en province est plus global et massif, vu que presque toutes les grandes villes sont surchauffées et vivent dans un climat d’insécurité généralisée.
Beaucoup de gens ont fui Port-au-Prince vers la province, et laissent aussi les villes en direction du milieu rural. N’est-ce pas l’occasion de penser à leur offrir ou leur apporter sur place tout l’encadrement nécessaire, sur le plan économique, alimentaire, éducatif, sanitaire culturel, énergétique, technologique, sportif, récréatif, … un cadre de vie décent ?
Ce qui permettra non seulement de redynamiser les communes (villes et sections communales), conformément à la décentralisation inscrite dans la constitution du 29 mars 1987, mais aussi de reprogrammer le rôle et le devenir de Port-au-Prince.
Par où commencer ? Dans une conversation avec trois dames qui étaient à Port-au-Prince, mais de retour dans leur zone depuis le durcissement de la crise au début d’octobre, à ma question : qu’est-ce qui vous ferait rester sur place, la réponse est automatique : trouver une activité à faire.
A une deuxième question pourquoi avez-vous laissé votre communauté pour Port-au-Prince, la réponse est : « le cyclone qui avait anéanti mon commerce ». C’est là un autre exercice à faire en profondeur pour mieux comprendre la réalité des gens, les intérêts, les souhaits ou les attentes, et pour faire les meilleurs choix d’encadrement susceptibles de garantir un apaisement social et une stabilité politique, indispensables à l’investissement et au décollage du pays.
Une question stratégique de taille à laquelle les architectes des programmes gouvernementaux de développement doivent répondre est : Dans un contexte de précarité de masse, qui est le cas actuel d’Haïti, comment promouvoir le collectivisme sans renoncer aux supports individualistes ?
Abner Septembre
Sociologue Chercheur et Praticien en Sociogronomie
Centre Banyen @ Vallue,
6 octobre 2019