By Rezo Nodwes -21 octobre 2019
par Jude Rosier
Lundi 21 octobre 2019 ((rezonodwes.com))– Haïti comme la plupart des pays sous-développés, est régulièrement taxée par les institutions internationales (Banque mondiale, Fonds monétaire international) de pays où la bonne gouvernance fait défaut. Une assertion qui s’avère judicieuse et se justifie par le rapport de la Transparency International qui révèle qu’en 2019 Haïti est considérée comme le pays le plus corrompu de la Caraïbe. Cependant, les instruments et les méthodes souvent utilisés ignorent parfois la prise en compte du phénomène dans un contexte globalisant et universel susceptible de l’expliquer dans une dimension constitutive et structurale.
La considération de la question dans un sillage économique et financier s’avère finalement d’une approche évolutive. Au-delà des enjeux financiers relatifs à des détournements de deniers publics, la corruption, dans ses différents aspects, soulève de nombreux problèmes qui ne sauraient être analysés et compris sans prendre en compte les facteurs motivants de cette pratique et la façon dont les acteurs perçoivent ce phénomène. En ce sens, entendons-nous que la corruption fait surface entant que fait social et peut se reconnaître au sein d’une matrice culturelle susceptible d’influencer l’action de l’individu dans un contexte déterminé.
Eu égard à la corruption, comme pratique dans une société donnée, il est en effet d’analyser son fondement culturel dans le système social haïtien. De cette intention, il faut croire déjà que c’est une absurdité légère de vouloir placer le phénomène de la corruption uniquement sur le terrain de la finance ; à croire qu’il suffit, dans bien des cas, d’augmenter le salaire d’un fonctionnaire et l’on mettra un barrage à la corruption. La conception du phénomène doit être comprise au-delà de cette approche réductrice pour prendre en considération sa dimension culturelle qui nécessite un exercice d’intériorisation des valeurs et des normes propres à la corruption.
De cette démarche, il n’est point imprudent de considérer la corruption comme un ordre naturel qui renvoie au principe de génération et de structuration de pratiques et de représentations dans la société. Autrement dit, la corruption est structurée par des valeurs et des normes propres à elle et qui sont partagées par les individus vivant au sein de la société haïtienne. Ainsi, elle devient une question de mentalité. Elle est ancrée dans les mentalités à tel point que Laënnec Hurbon (2018) avance que « la pratique de la corruption semble être collée à l’être même de l’Haïtien, à l’haïtianité ».
A ce stade, il n’est point utile d’avancer que cette pratique n’est pas liée à une catégorie sociale spécifique. Plus besoin de croire à cette assertion abjecte qui veut faire comprendre que « plus on est pauvre, plus on serait tenté par la corruption ». Cette pratique traverse toutes les couches sociales et est incrustée dans la vie quotidienne à travers des mécanismes discrets et voilés qui motivent l’action à une tentative d’enrichissement.
De même, il s’avère intéressant de comprendre les pratiques de la corruption dans une démarche « d’habitus », au sens qu’elles deviennent s’inscrire dans les comportements individuels et collectifs qui sont assimilables à toute situation liée à ce phénomène. Nous ne sommes pas sans savoir que la corruption trouve sa manifestation dans des moments de discrétion et de réserve. Le vol des biens de l’État (terres, impôts, taxes etc.) est une pratique tenue pour habituelle, l’enjeu se résume seulement à ne pas se faire prendre en flagrant délit. Ainsi, dans une transaction de corruption, on peut se rendre compte que derrière les échanges monétaires, c’est toute une stratégie bien organisée répondant à des normes et valeurs qui est mise en œuvre.
De plus, par la force des choses, il est de constater une tendance universelle des pratiques de la corruption dans la société haïtienne. Nous voulons parler à ce point, de la corruption comme « échange social » qui s’appuie sur des considérations sociales et culturelles et qui modifie les termes de la logique de l’échange. Ainsi, le principe du « rakèt » dans l’administration publique pour l’obtention d’un document (permis de conduire, papier d’identité, certificats) ne se résume plus à une prise de contact superficiel, mais s’accorde sur l’existence des liens particuliers entre les parties sous formes de réseaux de complicité et d’alliance.
Autant de dire que la corruption est la pratique que l’individu rencontre dès qu’il entre en rapport avec l’administration publique et on veut même croire à l’image d’une volonté manifeste soutenue d’ailleurs par les deux parties de ne pas mettre fin à ce phénomène. L’acte de corruption finirait alors par créer de lien social, au sens où chacun comptant sur l’assentiment de l’autre à la corruption. Ainsi, chaque partie trouve normal que cet acte qu’elle pose ait une utilité sociale dans la mesure où non seulement toute la société utilise cette pratique, mais aussi qu’elle est bénéfique pour tous.
Un policier de circulation qui perçoit de l’argent à un conducteur fautif estime que son acte permet à celui-ci non seulement d’exonérer une partie des frais de contravention mais également de lui éviter des difficultés qu’il pourrait rencontrer dans l’administration (lenteur, inorganisation, absence de règles clairement définies, non calculabilité du temps d’attente etc.). De même, le conducteur estime que sa transaction avec le policier permet à la fois de lui venir en aide et, aussi d’éviter les démarches administratives compliquées. Toutefois, la rapidité de la transaction montre bien qu’il y a accord entre les parties sur le montant.
En outre, la pratique de la corruption semble être perçue comme un instrument de mobilité sociale, et entraînée du même coup un processus de déréglementation des institutions de la société. En ce sens, l’école, reconnue comme le lieu par excellence d’inculcation des valeurs et des normes universelles et qui permet la formation de l’individu au respect des lois, semble avoir suivi une pente contraire à sa destination première.
C’est d’ailleurs la thèse développée par Auguste joint (2006) qui montre que l’école ne serait plus le passage obligé pour la mobilité sociale. Car cette mobilité sociale passe autant par la participation au pouvoir établi, le clientélisme, le népotisme, les connexions et les trafics de la drogue. A cet égard, la corruption aide à disposer d’un capital social et économique dans la mesure où elle est pratiquée en rapport au pouvoir. Car par le pouvoir, on parvient au plus près des sources de l’enrichissement. Dans cette perspective, la corruption devient un instrument pour monter dans l’échelle sociale.
En définitive, il est vrai que lutter contre la corruption nécessite la mise en point d’un système juridique impliquant en amont du phénomène l’implantation d’un système de vérification et de contrôle, et en aval, l’application de la loi contre les citoyens jugés pour corruption, mais il est d’une utilité particulière de toucher également la question dans une dimension anthropo-économique. Car la corruption en Haïti peut être la résultante de l’influence d’un syncrétisme culturel entre la tradition et notre passé colonial. Ainsi, la question de la corruption ne peut être appréhendée comme un simple fait conjoncturel, mais une réalité dont la solution doit être recherchée dans les consciences collectives de la population haïtienne.
Jude ROSIER, Sociologue jrosier003@gmail.com