Est-il plus facile de tuer un chef de gang que de le capturer vivant?

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6 mai 2019 Rezo Nodwes

par Francklyn B. Geffrard

Lundi 6 mai 2019 ((rezonodwes.com))– Sony Jean alias Tije ( petit œil en français) est mort. C’est confirmé par la police nationale. Il a été tué lors d’une opération policière à Delmas 83 dans la nuit du 29 au 30 Avril 2019, loin de ses pénates. La population de Carrefour-Feuilles que Tije et ses hommes terrorisaient jusque-là impunément, peut enfin pousser un ouf de soulagement.

D’ailleurs, la nouvelle qui a fait le tour des réseaux sociaux, une fois confirmée, a suscité une explosion de joie chez les riverains qui sont descendus dans les rues pour célébrer la mort de Tije et remercier la police d’avoir fermé à jamais les yeux de ce redoutable chef de gang qui leur a causé des torts irréparables.

Dans la du 24 au 25 Avril dernier, Tije et ses soldats ont perpétré un véritable carnage à Carrefour-Fueilles. Au moins 9 personnes ont été massacrées et plusieurs autres blessées grièvement par balles.

Évidemment, la population de Carrefour-Feuilles qui pleure encore ses cadavres qu’elle n’a pas encore enterré, a de quoi célébrer et se réjouir de cette opération de la PNH.

Objet de vives critiques et couvert de ridicule pour les opérations ratées de la police contre un autre chef de gang, Arnel Joseph qui a pratiquement mis la police en échec, le commandant en chef de la Police Nationale d’Haïti, Michel-Ange Gédéon, est le premier à se réjouir et se féliciter de ce que Tije ait été « stoppé » (tué).

Sur son compte facebook, Michel-Ange Gédéon écrit ceci: « La Direction générale de la PNH adresse ses plus vives félicitations aux policiers et policières de la PNH pour avoir enfin neutralisé le chef de gang Sony Jean alias «Ti Jé » qui terrorisait la population de Carrefour feuilles. »

Pour lui et pour la population de Carrefour-Feuilles, c’est une victoire et ils la savourent bien; même si on devrait raisonnablement se garder de tout triomphalisme compte tenu du fait que c’est seulement la tête de bande qui a été coupée.

Cependant, il faut être prudent. Le chef a été descendu certes, mais ses soldats dont on ignore encore le nombre, lâchés dans la nature sont toujours bien armés et actifs sur le terrain. Et il faut craindre des représailles de ces fauves qui peuvent vouloir venger leur chef.

Le travail de la police n’est pas fini. Celle-ci doit maintenant entamer une enquête en profondeur à partir du ou des téléphones qu’utilisaient Tijé afin de retrouver tous ses contacts. Aucun détail ne devrait être négligé.

La police doit inévitablement renforcer sa présence et l’Etat doit prendre en main la population de cette zone longtemps livrée aux bandits qui ont exercé un pouvoir de vie et de mort sur elle.

Aussi longtemps que la population sera délaissée et dépendante des sacs de riz distribués par ses bourreaux, ces malfrats seront toujours considérés, à tort bien sûr, comme des bienfaiteurs et des leaders communautaires faisant du social.

En plus d’une vaste campagne de désarmement que l’Etat doit conduire à travers le pays, il doit aussi dépouiller ces criminels de toute prétention à se faire passer pour des leaders communautaires.

Maintenant que leur chef est tombé, ils peuvent faire un retrait stratégique momentanément pour ne pas s’attirer la foudre de la population et de la police dont la morale a probablement été « boosté » par cette victoire.

Même s’il n’est pas connu encore, le remplaçant de Tije est déjà là. Sans doute. Avant Tije, il y a eu d’autres chefs de gangs tout aussi puissants à terroriser la population de Carrefour-Feuilles. Dole, Kenken, Tèt Kale sont quelques-uns d’entre eux. Tous ont connu le même sort. Ils ont été tués soit par la police soit par d’autres gangs rivaux. Donc, il ne faut pas se leurrer, il y en aura d’autres.

Marginalisés, ces jeunes qui vivent dans des conditions grabataires, sont souvent ensauvagés par des groupes d’intérêts politiques ou économiques qui les transforment en de véritables petits monstres sanguinaires toujours prêts à tuer de manière instinctive. Soumis à la précarité, sans espoir ni perspectives, ils s’adonnent à la criminalité. Ce sont des proies faciles pour ceux qui veulent alimenter un climat de terreur et de chaos dans le pays.

La mort de Tije apporte certainement un soulagement aux proches de ses nombreux victimes. Cependant, ce n’est pas encore justice qui leur a été faite. Et le fait de tuer le caïd de Savane Pistache ne résout pas nécessairement le problème de la violence et de l’insécurité et de l’impunité à Carrefour-Feuilles.

Et cela nous amène à poser cette question fondamentale. Est-il plus facile d’abattre un chef de gang que de le capturer vivant pour le déférer par devant la justice? Un chef de gang tombé lors d’échanges de tirs avec avec les forces de l’ordre est une formule classique avec laquelle même les moins avisés sont habitués. Cette méthode est récurrente.

Il est vrai qu’il y a des circonstances où les policiers déployés sur le terrain lors des opérations, se voient parfois obligés de faire usage de leur droit de légitime défense si leur vie est menacée. Il n’en reste pas moins vrai que capturer les hors-la-loi demeure la meilleure option. Cela est fondamental à plus d’un titre. Mieux qu’une exécution, une arrestation pourrait donner droit à:
1) un procès équitable des bandits armés
2)aux témoignages des victimes
3)cela permettrait de remonter la piste de tous les membres du gang armé, de leurs complices et de leurs ramifications; leurs sources de financement et d’approvisionnement en armes et en munitions etc.
4)cela devrait aider aussi à mieux comprendre le fonctionnement de ces gangs armés qui pourrissent la vie des citoyens et endeuillent les familles haïtiennes. Enfin, cela permettrait de déraciner plus facilement les gangs qui prolifèrent comme du champignon dans le pays.

Chaque fois qu’un chef de gang qui aurait pu être maîtrisé et livré à la justice, est tué, il part avec ses secrets et toutes les informations qui pourraient être utiles aux services de police, au renseignement judiciaire et à la société entière. Il est vrai qu’il arrive souvent que la police arrête et que la justice libère dans des conditions obscures, il est quand même utile que l’on permette à la justice de se prononcer et que les policiers ne cèdent pas à la tentation de tuer.

Bien entendu la police doit continuer à faire son travail de manière professionnelle et dans le cadre du respect de la loi. Elle doit continuer à traquer tous les bandits ainsi que leurs protecteurs et ou leurs complices indistinctement.

Évidemment, en plus du dilemme de la faiblesse judiciaire qu’il faut résoudre, on doit aussi adresser le problème complexe relatif à la complicité de hautes autorités de l’Etat qui sont souvent accusés de protéger les bandits. Pire encore, ces mêmes autorités sont parfois accusées de fournir armes, munitions, mission et argent à ces bandits qui sèment le deuil dans le pays.

Francklyn B. Geffrard