Haïti : faut-il casser des œufs?

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3 mai 2019 Rezo Nodwes

par Kerlens Tilus

Vendredi 3 mai 2019 ((rezonodwes.com))– « La société d’aujourd’hui représente, pour le meilleur et pour le pire, la forme la plus achevée de l’histoire en termes de démocratisation et d’accessibilité des connaissances ; ce n’est donc pas sans raison qu’elle a été nommée « société du savoir ». En effet, le savoir n’est plus l’exclusivité de certaines élites intellectuelles, des gens riches ou des communautés religieuses, comme c’était si souvent le cas autrefois. De nos jours, l’acquisition des connaissances est à la portée d’un nombre de plus en plus grand de gens de toutes conditions, partout sur notre planète. Du jamais vu. Le développement des technologies de l’information et, surtout, l’arrivée de l’Internet et du World Wide Web, permettant désormais un accès facile et rapide à des milliards de pages de texte, de graphiques, de tableaux et d’images (fixes ou animées) sur tous les sujets imaginables. Le projet de mise en réseau se poursuit inexorablement et, chaque jour, de nouveaux points d’ancrage s’ajoutent à cette toile qui couvrira un jour la planète entière, même dans ses régions les plus reculées. » (Patrick Imbert, Université d’Ottawa).

Il est triste de constater que certains de nos compatriotes considèrent la connaissance et le savoir comme un luxe qui ne devrait pas être accessible à tous. Il est un fait certain qu’un pays ne peut pas se développer sans la connaissance, sans la technologie et sans une politique éducative adéquate. J’ai acquis au fil du temps une solide formation en sciences humaines et sociales, mais je suis conscient qu’une société comme la nôtre ne peut pas bouger sans l’apport des sciences exactes. L’éducation est le facteur primordial qui peut permettre à Haiti de se relever de ce bas-fond. On entend ici par éducation : « l’action de développer un ensemble de connaissances et de valeurs morales, physiques, intellectuelles, scientifiques… considérées comme essentielles pour atteindre le niveau de culture souhaitée. » Il faut dès le départ avoir une vision claire de la société dont on veut créer et visualiser un méga projet sur lequel des chercheurs, des connaisseurs et des professionnels vont travailler. On peut avoir la volonté de bien faire, mais si on n’a pas la capacité, la compétence nécessaire, on risque de passer à côté. Tout ce que je lis, tout ce que j’emmagasine comme savoir et connaissance, je veux le mettre au profit de mon pays. Le but ultime de l’éducation est d’humaniser (de rendre plus humain et plus sensible) celui qui l’acquiert. L’éducation est par essence un concept positif. Plus une société ou un pays a des gens éduqués, plus le niveau de vie devrait être élevé, plus les conditions de vie et d’existence devraient être améliorées.

J’avais en tête ce matin d’écrire un texte pour réfléchir sur le comment faire pour arriver à un changement de système en Haiti et permettre au pays de décoller. En pensant sur ce que je peux bien écrire, le souvenir d’une conférence et d’un livre que j’ai lu sur le Canada et la société des savoirs m’est venu à l’esprit. Quand je pose la question : faut-il casser des œufs ? Ce qui vient à l’esprit, c’est la violence, la révolte et la révolution. Comme jeune universitaire, je ne peux m’empêcher de penser constamment à cette société anomique dans lequel je vis par extrapolation.

Physiquement, je ne suis pas en Haiti, mais je respire le pays, la réalité des choses m’imprègne comme si j’étais à l’intérieur. Depuis la chute de la dictature en 1986, les esprits positifs aspirent à un changement mélioratif qui tarde à venir. Aujourd’hui, face à la gangstérisation, le chaos généralisé et la violence systémique que subit le peuple, l’on se demande si le pays peut sortir du trou dans lequel il est enlisé dans le dialogue et la concertation. Je respecte la vie humaine et je prie le créateur afin que je ne sois jamais dans une situation où j’aurai à décider sur le sort ultime d’un de mes semblables. Sans détour, nous voulons poser la question à plus d’un : peut-on changer les choses en Haiti sans effusion de sang ?

Pour répondre à une telle question, il faut bien faire un survol historique pour voir dans quelle circonstance ce pays a été érigé et pourquoi durant deux siècles, nous n’arrivons pas à construire un havre de paix et de progrès.  Nous avons arraché notre liberté des mains des esclavagistes armes à la main, dans la violence. Malgré que nos ancêtres ont pu se libérer du joug de l’esclavage, les tares continuent à nous hanter. Dans mon entendement, Haiti est un pays mort-né. En effet, après l’indépendance, toute tentative d’ériger l’Etat-Nation s’est soldée par un échec. On a assassiné le père fondateur de la patrie qui avait une vision claire et nette du pays qu’il voulait construire.

Depuis 1806, les esclavagistes s’allient à des affranchis pour stopper la marche de l’histoire et retourner à l’ordre ancien. L’esclavage de fait n’est plus de mise, mais cela n’empêche que nous vivons dans un monde d’exploitation à outrance où la raison du plus fort est toujours la meilleure comme le dit Jean de la Fontaine. Les détenteurs de moyens de production en Haiti ou encore ceux qui contrôlent le système inégalitaire font partie d’une mafia internationale qui ne prend en compte que le rapport de force. Les ténors du capitalisme n’ont pas d’état d’âme. Le motto est clair : « on existe que pour exploiter, déshumaniser et faire du fric. »

Nous avons dit au tout début de cet exposé que l’éducation humanise et rend sensible. Mais, comment explique-t-on que ceux qui contrôlent le système d’exploitation mondial sont des gens bien éduqués ? Il n’y a pas à en sortir de là que le racisme est à la base de ce traitement inhumain que des gens soit disant civilisés font subir à d’autres individus qui sont différents par rapport à eux. Le monde est cruel. Il n’y a pas d’autres moyens d’expliquer à un enfant pourquoi géographiquement qu’Haiti soit dans les girons des Etats-Unis d’Amérique, la première puissance mondiale et qu’elle soit l’un des pays les plus pauvres du monde que par le racisme. Certains de nos compatriotes qui ont une certaine myopie arguent que nous avons choisi d’être pauvres. C’est un discours très répandu ces jours-ci pour déresponsabiliser les bourreaux de ce monde qui assujettissent les peuples noirs et ceux qu’ils considèrent inférieurs par rapport à eux à une violence systématique. Les grands de ce monde ne prendront jamais conscience. L’exploitation et la méchanceté sont inscrites dans leur ADN. Haiti est un cas classique pour comprendre comment les pays esclavagistes de ce monde dits « grandes puissances » opèrent. Regarder comment des containers d’armes de guerre laissent les ports des pays développés pour entrer en Haiti sans contrôle aucun. Les ports privent en Haiti appartiennent à ces mêmes esclavagistes. Toute personne avisée comprend le mécanisme qui sous-tend le trafic d’armes dans le monde.

Un coin de terre n’est pas un pays, un territoire n’est pas un pays. Il y a des normes et des règles qui régissent un pays. N’avons-nous pas assez d’experts haitiens qui soient capables d’ériger un pays viable sur le territoire que nous occupons ? Certainement oui. Mais, comment s’y prendre ?

L’intellectuel donne le ton et essaie d’être objectif autant qu’il peut. Nous ne pouvons pas continuer à faire le marronnage. Haiti, comme nous le connaissons aujourd’hui, est un grand prison à ciel ouvert où la violation flagrante des droits des prisonniers est palpable. A la question : faut-il casser des œufs ? Nous ne pouvons répondre que c’est inévitable. Il y aura bien sur de grandes pertes et de sévères dommages. Il ne revient pas à nous, bloggeur de dire qui doit casser les œufs et comment le faire. Tout être humain a le goût de la liberté. Un être emprisonné sait qu’il est emprisonné et cherche toujours un moyen à se défaire de ses chaînes. On ne joue pas ainsi avec la vie d’êtres animés qui sont doués de raison. La liberté et la souveraineté ont un prix. Il n’y a que deux moyens d’arracher sa liberté : 1- soit on pète les plombs et bousille tout. 2) soit on intimide son bourreau et le porter à céder. Dans notre cas ici, l’intimidation ne marchera pas, car le bourreau sait qu’il a un système bien huilé en place qui ne peut céder sous aucune pression. Le déchouquage général est l’ultime voie. L’histoire est un perpétuel recommencement. Nous rêvons le changement ; nous sommes conscients des barrières qui entravent notre liberté ; mais nous sommes aussi d’avis que rien ne peut brouiller ni camoufler le cri de la liberté pour l’en empêcher de faire écho.

Nous avons parlé au tout début de ce texte de la société du savoir. Il est à signaler que cette société rejette le destin et affirme que les êtres humains sont capables de s’autodéfinir.

Aujourd’hui, nous faisons le constat que l’Etat haitien n’existe pas. Il n’y a aucun moyen de maintenir ce système en décomposition sans déboucher sur un éclatement. Après le chaos, ce ne sera pas le néant. Les bourreaux ne pourront pas récupérer ce mouvement. Les Haitiens n’ont pas de chromosomes en moins. Nous ne sommes pas inférieurs par rapport à nos bourreaux. Les affranchis qui nous ressemblent et qui font le sale boulot pour les esclavagistes savent qu’ils ne sont pas éternels. En toute chose, malheur est bon. Sur mon siège d’observateur, je vois bien des choses. De nos jours, on ne peut empêcher à un esprit motivé de creuser dans le puits de la connaissance. En dehors de cette marrée d’analphabètes et d’incultes, Haiti regorge de savants et de professionnels qui sont dynamiques et soucieux de faire la différence. Avec tout ce potentiel,

l’avenir ne peut être sombre. Il était impossible de convaincre un esclave en 1791 que le 1er Janvier 1804 était dans l’ordre possible des choses. Et pourtant, une poignée d’hommes s’était transportée au-delà des barrières physiques contraignantes pour illuminer  le chemin de la liberté. Aujourd’hui encore, des hommes et des femmes de bonne volonté se laissent imprégner de savoirs et de sagesse pour constituer le flambeau de la Providence qui doit illuminer les sentiers de la révolution. Le processus de construction de cette société du savoir en Haiti arrivera à terme. Il faut oser espérer.

Que vive Hayti.

Kerlens Tilus        05/03/2019

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