Publié le 2019-02-18 | Le Nouvelliste
National –
Si l’on conçoit le tragique comme « ce qui résiste à la réconciliation », il y a quelque chose de tragique dans la situation du Premier ministre.
Son discours, contrairement à celui du président, avait la tenue d’un responsable politique conscient des enjeux sociaux aussi bien que de sa responsabilité personnelle, avec, en plus des propositions concrètes comme éléments de solution à la crise sociale. En d’autres temps…
Mais la crise sociale s’exprime dans une revendication politique qui est, pour une grande partie de la population, la démission du président de la République. Il n’a pas abordé cette question dans son discours. Sa fonction l’en empêche. Comment peut-il essayer en même temps de sauver sa crédibilité, sauver la présidence de Jovenel Moïse, répondre aux revendications populaires ? Il semble aujourd’hui impossible de faire tout cela en même temps.
Il a dénoncé des écarts sociaux inacceptables, la corruption, s’est engagé vers des mesures qui mettraient fin ou frein à tout cela. Là encore, tout ce qu’il dénonce est l’identité politique et sociale de PHTK et alliés. Ce que le pouvoir actuel symbolise et est de fait, c’est la poussée du mépris de la chose publique, le triomphe scélérat de cet État contre la nation que des progressistes, militants et intellectuels dénoncent depuis longtemps. Depi kilè yo te bay chat veye mantèg ?
Le voilà déjà, dans son discours même, prisonnier de l’absurdité de sa situation. En tant que président du CSPN, il est responsable et comptable de l’action de la police. Or, il y a eu répression : des journalistes, des simples citoyens, ont dénoncé des violences subies. Des gens qui ne participaient pas aux manifestations ont été victimes des actions de la police. Lui-même a déploré la mort d’un adolescent tué par un policier. Et le voilà qui salue un professionnalisme que ni ceux qui étaient dans les rues ni ceux qui ont regardé les images des actions policières n’ont vu. Le Premier ministre souffrirait-il des préjugés sociaux qu’il dénonce ? Serait-ce parce que ce ne sont pas les « bonnes gens » qu’on voit en majorité dans la rue qu’on minimise la répression ? Si les victimes de la répression étaient des enfants de notables (j’allais écrire notaires) ou des notables eux-mêmes, les aurait-on aussi vite rangés dans le lot des quantités négligeables ! (Par ailleurs il n’est pas ici question d’accabler la police mais de dénoncer qu’on l’utilise comme force de répression contre la population.)
Le voilà encore obligé de parler de suggestion faite au Parlement et à la présidence. Cela laisse bien entendre qu’il n’y a pas d’entente. Et si les intentions du Premier ministre correspondent à ses dires, il ne peut y voir d’entente. Pour le PHTK et alliés, le pouvoir est source d’enrichissement personnel. Sinon à quoi leur servirait-il ?
Et se pose la question du pouvoir réel du Premier ministre. Le président est en guerre contre lui, le voyant comme un possible successeur. Les fidèles du président le boycottent. La rumeur ( et la logique : on voit mal pourquoi il voudrait se suicider socialement et politiquement dans un naufrage annoncé) veut que lui pense à sauver sa tête plus qu’à sauver celle du président tout en étant obligé de montrer le contraire.
Pas le pouvoir d’appliquer. Pas le pouvoir de convaincre. La demande des partis politiques, de la rue, de la société civile (hormis les représentants traditionnels du conservatisme) est que la clique qui le suce depuis quelques années parte du pouvoir et nous rende des comptes. Sortant de la tragédie, pour mettre les choses plus à terre, on peut glisser dans le comique, penser à telle scène que Molière prit à Cyrano : « Que diable allait-il faire dans cette galère ? »
Antoine Lyonel Trouillot
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