Enrayer la pauvreté : Haïti peut capitaliser sur l’Outsourcing

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9 février 2019

par Carly Dollin

De nombreux pays asiatiques et africains sont sortis du cercle vicieux et pernicieux de la pauvreté et se taillent des places princières dans l’arène économique mondiale grâce aux avantages compétitifs qu’ils ont su défendre à travers les juteux contrats de services de sous-traitance technologiques et en d’autres domaines des affaires signés avec de géantes firmes de l’Europe et de l’Amérique du Nord.

Samedi 9 février 2019 ((rezonodwes.com))– Un montant de 85.6 milliards de dollars, dont 62 milliards en ITO (Information Technology Outsourcing) et 23.6 milliards en BPO (Business Process Outsourcing), ont été générés dans les services de l’Outsourcing au cours de l’année 2018. Cette approche rationnelle d’externalisation des services très en vogue dans la dynamique des affaires dans le monde moderne vise la maximisation des profits des entreprises par la délégation d’un ensemble de transactions qu’elles confient à d’autres fournisseurs dotés de la capacité de répondre adéquatement aux exigences de qualité dans les prestations de services. En raison des coûts plus élevés pour accomplir certaines tâches à l’interne (appels téléphoniques, facturation, gestion de la comptabilité et des ressources humaines, saisie et traitement de données,….), beaucoup d’entreprises européennes et nord-américaines sollicitent la main d’œuvre et l’expertise d’autres fournisseurs étrangers pour s’en charger à leur place, afin de bénéficier de nombreux avantages comparatifs. Ces avantages résultent dans les flexibilités horaires, la diversité des choix des prestataires et les incitations financières à travers des salaires plus compétitifs offerts par des agences étrangères.

Aujourd’hui, les activités de sous-traitance de services technologiques (ITO) et de celui des affaires n’exigeant pas des habilités techniques très poussées (le BPO) sont de plus en plus pratiquées tant dans des pays émergents que dans de nombreux pays moins avancés. D’ailleurs, la plupart des pays de l’Asie, dont les tigres asiatiques, doivent en grande partie leur sortie du cercle vicieux de la pauvreté puis leur émergence économique, aux vertus de l’émancipation des processus ITO et BPO qui dominent les affaires dans le monde économique du 21e siècle.

Les conditions d’attraction des services de l’outsourcing

Depuis des décennies, les hommes et les femmes d’affaires, les entreprises compétitives, les hommes et les femmes politiques responsables et imprégnés du sens de l’altruisme intergénérationnel convoitent les montants prodigieux générés dans l’arène économique de l’outsourcing. Ils n’y voient pas une panacée pour endiguer illico la pauvreté et ainsi booster leurs économies vers des sentiers de croissance spontanée ; mais, ils continuent de capitaliser sur les vertus de cette approche libérale qui enlèvent des barrières géographiques, culturelles et présentielles pour améliorer les conditions de vies de leurs populations. Il va sans dire que ce nouveau paradigme du « doing business », qui a connu un essor spectaculaire dans les deux dernières décennies, marche de pair avec des pratiques intelligentes et efficientes, donc sollicite des prémisses d’ordre économique, politique et infrastructurel. Les principaux facteurs requis dans un pays pour se positionner stratégiquement sur l’échiquier de l’industrie de l’outsourcing pour pouvoir négocier des contrats de services avec des compagnies donneuses d’ordres sont l’énergie électrique, les voies et moyens de transports et de communications intenses, fiables et efficaces, la confiance dans les interfaces politiques et dans les partenaires commerciaux, un cadre juridique et des affaires solide, la maitrise de langues étrangères, la sécurité et la stabilité politique, l’absence de la corruption. Ces conditions préalables sont pour l’attraction des services de l’outsourcing ce que l’oxygène est à la respiration. La disponibilité d’un capital humain doté d’une compétence adéquate n’est pas un véritable obstacle pour saisir les opportunités de l’outsourcing. Car, les haïtiens se distinguent dans leurs capacités cognitives à apprendre des langues étrangères et à se munir, dans des temps records, d’outils académiques et professionnels pour s’adapter à de nouvelles cultures et de nouvelles techniques.

Par contre, le constat est plutôt alarmant au niveau des institutions régaliennes dont le prestige et l’image sont vilipendées par le régime actuel caractérisé par une myopie, voire une cécité sans précédent. Aucun plan pour une jeunesse et une force de travail compétitives mais désespérées, en perte de repère qui se décapitalisent et s’humilient dans des pays voisins qui nous contemplaient jadis comme leurs modèles. Pourtant, l’État devait envoyer des signaux crédibles en valorisant ses ressources humaines afin de mieux se positionner dans les guerres des talents et les jeux de négociations qui s’opèrent constamment dans les affaires. Des unités de veilles technologiques devaient être mises en place pour cerner les besoins des firmes étrangères et ainsi repenser les curricula de l’enseignement classique et supérieur ; redéfinir les principes et les formalités administratives qui obstruent la transparence et alourdissent les fluidités de la conception et l’exécution des projets dans le système.

De judicieuses expériences asiatiques et africaines

L’industrie de l’outsourcing constitue un important pourvoyeur d’emplois à travers de nombreux pays asiatiques et africains. En une décennie, soit de 2006 à 2016, la Chine a accru sa richesse de l’industrie de l’Outsourcing de 1.38 milliard à 106.46 milliards de dollars. Ce géant asiatique a également vu le nombre de compagnies dans ce secteur s’accroître de 400 à 40 000 au cours de la même période. Ce tableau économique étincelant résulte de politiques économiques inclusives et pro-richesse conçues et mises en œuvre par les dirigeants du pays le plus peuplé au monde. La Chine forme aujourd’hui deux fois plus d’étudiants que les Etats-Unis, avec une affinité particulière pour les domaines d’ingénierie qui sont à la base de l’attrait des sociétés de la Sillicon Valley telles que Google et Facebook qui bénéficient en permanence de l’expertise chinoise dans les programmations des codes informatiques et d’autres services technologiques.

La sixième puissance économiques actuelle adhère à cette même dynamique de fournir des emplois à ses citoyens via la préparation d’une main d’œuvre technologique qualifiée et la consolidation d’un cadre des affaires approprié à cette industrie florissante. L’Inde met en pratique une approche très moderne, baptisée d’innovation frugale, pour inciter et attirer chez elle les demandes de services de pointe par des firmes étrangères à des tarifs très réduits. 500 compagnies indiennes fournissent des services technologiques à 66 pays du monde dans l’industrie de l’outsourcing qui apportent pour l’économie indienne une valeur ajoutée de 1.1 million d’emplois et 154 milliards de dollars dans ladite industrie en 2017. Le fort taux de croissance économique de 7% enregistré dans l’économie indienne en 2018, qui convoite la troisième position en 2032, est dû amplement à sa vision et ses politiques stratégiques dans l’utilisation des services de l’ITO et du BPO. Par ces approches compétitives, 140 millions d’indiens, croupis jadis dans la pauvreté, sont montés à bord du train du niveau de vie décent en seulement dix ans. Les Philipines, la Thailande, le Taiwan, la Corée du Sud, l’Indonésie comptent également parmi le nombre de pays asiatiques qui savent cerner à bon escient les enjeux économiques des avenues d’opportunités présentées par les fructueux contrats de services pourvus par l’industrie de l’outsourcing. Les pays asiatiques ne sont pas singuliers à insuffler des bouffées d’oxygène dans leurs économies par le biais de la libéralisation des échanges de biens, de services et de capitaux accentuée par le secteur prometteur de l’outsourcing.

De nombreux pays de l’Europe, de l’Afrique et de l’Amérique Latine dont l’Ukraine, la Bulgarie, la Roumanie, l’Afrique du Sud, le Madagascar, l’Ouganda, le Chili, la Colombie, le Brésil et le Costa Rica tirent également leurs épingles du jeu des offres de services externalisés. L’Afrique du Sud est perçue comme un concurrent de taille pour les géants asiatiques dans les services ITO et BPO qui puisse leur ravir des milliers d’emplois et des milliards de dollars dans les prochaines années. A l’Ouganda, le gouvernement mène des campagnes pour inciter les jeunes à faire usage intelligent de la technologie pour bénéficier des avantages qu’elle procure ; le Madagascar dont le nombre d’entreprises d’externalisation a quadruplé au cours des 5 dernières années, est aujourd’hui une destination d’externalisation très compétitive. Pendant que les dirigeants de ces pays latins et africains jouent des cartes de la transparence et de la compétitivité, et se soucient du bien-être économique de leurs populations, Haïti est infortunée de se voir diriger par des crapules qui ne caressent que leurs agendas personnels mesquins et qui ne voient plus loin que le bout de leur nez.

L’expérience précaire haïtienne dans l’industrie du BPO

Selon une étude réalisée par la firme Pharview[1] en 2014, moins d’une dizaine de compagnies en Haïti opèrent dans des activités de BPO. Hormis la Digicel avec une taille de 400 employés dans ce secteur, les quatre ou cinq autres compagnies comptaient un très faible effectif variant de 10 à 60 employés. Ces derniers sont majoritairement des femmes entre 20 et 30 ans, empochant un salaire moyen mensuel de dix mille à douze mille gourdes. Les pays donneurs d’ordres avec lesquels les entreprises haïtiennes font des affaires sont principalement la France, les États-Unis, le Canada, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, les Iles Turk and Caicos. Service  à la clientèle, prise en charge de rendez-vous et de procédures d’assurance, télémarketing et saisie de données sont les principaux services vendus par les compagnies haïtiennes aux sociétés étrangères donneuses d’ordre. Cette recherche de Phareview a également permis d’identifier des barrières à l’expansion et la propulsion de cette nouvelle approche d’engagement dans les affaires. Les chefs d’entreprises haïtiens, relate-t-on dans ce rapport, expliquent la quasi inexistence des firmes haïtiennes dans ces fenêtres d’opportunités en raison de l’image négative et de la piètre réputation du pays. Ils en profitaient pour solliciter l’implication du secteur public pour les appuyer dans des activités de promotion et dans la participation dans des congrès internationaux ou régionaux dans la perspective de créer la confiance chez les potentiels demandeurs de services.

Les comportements irresponsables et les pratiques inefficientes laissent augurer de faible capacité technologique et des niveaux de compétence technologique très précaires qui ne puissent garantir la qualité et le sérieux des services à solliciter par les firmes étrangères.

Aujourd’hui, par ces courses acharnées engagées par les animaux politiques haïtiens pour décrocher la palme dans la corruption, la malversation et l’indécence, et par les promesses mirobolantes embaumées d’irrespect, d’arrogance, de dédain et de mépris de la satisfaction des desiderata et des besoins primaires de la population, il va sans dire que ce signal désolant de réputation avilissante va crescendo dans les esprits des potentiels investisseurs et donneurs d’ordres qui vont préférer jeter leurs dévolus pour des compagnies asiatiques, africaines, voire nos voisins de la Caraïbe qui sont plutôt « Open for Business ».

Comment se positionner stratégiquement pour bénéficier des avantages de l’industrie ITO et BPO

Infrastructures économiques et sociales (énergie électrique, moyens de transport et de communication), honnêteté dans les discours et dans les actions, signal crédible de respects des normes et des principes, cadre des affaires attractifs et huilé, capital humain compétent et dynamique doté de la capacité de s’adapter à de nouveaux challenges, sécurité des vies et des biens, sens de l’intérêt collectif, transparence, absence de corruption. Longue est la liste des contraintes à respecter pour rentrer dans les guerres de compétitivité qui se déclarent dans le secteur de l’externalisation des services. Du train que ça va, avec une présidence qui ne jure que par des discours trompeurs épicés de mensonges multicolores et polymorphes ; avec une législature garnie de vampires politiques qui se perdent dans leurs intérêts personnels mesquins comme de l’eau dans la mer, oubliant ainsi leurs attributions fondamentales de contrôle des actions de l’exécutif ; il est raisonnable de taxer le rêve d’enregistrer des centaines de firmes haïtiennes et des dizaines de milliers d’Haïtiens dans le secteur ITO et BPO comme un vrai chimère. 

Cependant, à l’instar de nombreux peuples asiatiques et africains qui ont connu des travers et des situations sanglantes en raison du manque de vision et de leadership de leurs anciens dirigeants, tels que les tigres asiatiques, le Rwanda, l’Afrique du Sud et qui récoltent aujourd’hui les fruits succulents d’une vision et d’une gouvernance éclairées insufflées par des hommes responsables comme Nelson Mandela et Paul Kagame, Haïti y croit encore. Oui, Haïti a appris les leçons amères et douloureuses des expériences récentes de cette dernière décennie où s’asseyaient au timon des affaires, l’incompétence, l’arrogance et l’indécence qui portent en elles les gènes de la corruption, de la malversation et de la dilapidation des fonds publics.

Dans la perspective de redorer le blason de cette économie délabrée, malmenée, brutalisée et ravagée par ce petit clic, les onze millions d’âmes à la recherche du bonheur dans cet espace de 27 750 km carrés doivent au plus vite plébisciter dans la gouvernance du pays l’honnêteté, la compétence, le savoir-faire et le savoir être qui sont les valeurs prônées  par nos ancêtres depuis notre indépendance le 1er Janvier 1804.

Les vertus et les valeurs doivent reprendre la main dans les affaires politiques, sociales et économiques de notre pays afin de pouvoir véritablement mettre de l’argent dans les poches et de la nourriture dans les assiettes de cette population trop ridiculisée par les « laideurs » politiques actuels.

Carly Dollin

carlydollin@gmail.com