Le procès Pétrocaribe, quelles perspectives ?

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7 janvier 2019 Rezo Nodwes

Le procès Pétrocaribe, quelles perspectives ? 

Par Sergo Alexis

Lundi 7 janvier 2019 ((rezonodwes.com))– Le procès Pétrocaribe est comme une écharde dans les jambes du régime phtkiste.  Les politiciens haïtiens, quant à eux, sont dépassés par le dynamisme et l’ampleur de la mobilisation des Haïtiens, toutes couches sociales confondues, en Haïti et dans les grandes capitales occidentales.

La grande majorité des Haïtiens pense qu’Haïti se trouve au bord de l’explosion. A mon humble avis, ce qui retient l’éclatement, c’est la grande majorité de la classe moyenne des fonctionnaires – et ils sont nombreux, des élites zentellectuelles et une catégorie de journalistes qui s’autoproclament directeurs d’opinions. Tout ce beau monde guide la population haïtienne non initiée par des manœuvres dilatoires qui garantissent leurs intérêts personnels et ceux des nantis.

J’ai suivi attentivement les propositions de l’opposition dite démocratique. Quand ses leaders s’expriment oralement, ils ont un comportement comparable à des chiens qui aboient par peur de l’autre. On les entend crier : «  Jovenel tombera ce week-end », le départ de Jovenel est imminent, qu’il sera suivi par une conférence nationale pour nommer un gouvernement provisoire, etc.

Pour moi, toutes ces gesticulations s’apparentent plus à du blabla pour occuper l’antenne, se faire voir et amuser la galerie. Car c’est mettre la charrue avant les bœufs. Ils devraient d’abord commencer par la conférence nationale pour accoucher d’une alternative à la gouvernance de Jovenel Moise/Henri Céant : un gouvernement appliquant la transparence et l’éthique pour réaliser son premier objectif, celui du Procès Pétrocaribe. Demander préalablement le renversement de M. Jovenel Moise, même avec de la volonté de bien faire, c’est comme si ces leaders de l’opposition démocratique disaient au Phtk au pouvoir : ôte-toi que je m’y mette ! C’est en tout cas la perception de nombreux patriotes qui réclament un vrai changement de gouvernance.

Face à cette carence de programme de la classe politique, il est du devoir de chaque citoyen de la minorité de la classe moyenne progressiste (1), de proposer des idées capables d’apporter des solutions ; des idées nouvelles pouvant atteindre et mobiliser la grande majorité de la population. C’est ce qu’a fait par exemple « De jeunes citoyens engagés » (2), réunis au Petit-Goâve, du 30 novembre au 2 décembre 2018. Ils ont présenté un certain nombre de propositions à la classe politique et au gouvernement, en deux parties : le structurel et le conjoncturel ; et mettent l’accent sur une vrai « REFORME INSTITUTIONNELLE et un VRAI DIALOGUE,ce, pour éviter des décisions d’incohérences, d’immaturité et de démonstrations politiciennes de bas étage. » L’ensemble des propositions ressemble plutôt à une feuille de route pour une bonne gestion de la chose publique à moyen et long terme. Ces jeunes citoyens engagés ont le mérite de jeter la première pierre de l’unité haïtienne. Mais il y a LA PRIORITE : KOT KÔB PETWOKARIBE A ? Et là, il y a un problème !

Car ces jeunes conférenciers écrivent : « Que le président Jovenel Moise reste au pouvoir, au moins une année de plus, pour une analyse des résultats et remise en question pour le reste du quinquennat. Que le président et son Premier ministre Jean Henry Céant aient l’attitude de nommer leur gouvernement dans une vraie négociation/cohabitation avec les autres partis politiques mais sans imposition. »

Or, chacun sait qu’il est politiquement impossible à MM. Moise et Céant d’aboutir à un jugement Pétrocaribe, du fait de leur implication directe dans la gestion des fonds. L’un en qualité d’inculpé, pour gestion illicite des comptes ; pour son implication dans le dossier petro-caribe : l’une de ses propres entreprises ayant vendu à l’Etat des panneaux solaires à un coût surfacturé. Et les millions volatilisés qui ont été alloués par l’Etat à Agitrans pour la production et l’exportation de bananes. L’autre, Jean-Henry Céant, en qualité de notaire qui a travaillé sur les contrats avec notamment la firme dominicaine Estrella de Bautista. Et également sur ceux d’expropriation des maisons du bas la ville de Port-au-Prince

http://elsie-news.over-blog.com/2015/08/liste-des-contrats-signes-avec-la-firme-estrella-de-bautista.html;http://elsie-news.over-blog.com/2018/10/incompetences-irregularites-et-gabegies-dans-le-processus-par-le-gouvernement-lamothe/martelly-d-expropriation-du-centre-ville-de-po. http://elsie-news.over-blog.com/2014/11/ceant-se-retire-de-l-affaire-de-l-expropriation-musclee-des-habitants-du-bas-de-la-ville.html

Sans compter que les noms de bon nombre de leurs relations et amis du Phtk et du secteur privé des affaires sont cités dans cette affaire de dilapidation des fonds Petro Caribe. Ajouter à cela, ce gouvernement fait preuve d’incompétence et du paternalisme dans l’utilisation de ses budgets ; insiste sur les pratiques de privilèges accordés et des corruptions instituées, les enveloppes distribuées au policier avant la grande manifestation du 18 novembre. Le financement de gangs qui aboutiront notamment au massacre des habitants de La Saline et à bien d’autres assassinats injustifiés des sans-voix. Ne parlons pas des suicides douteux de cadres qui connaissaient le dossier Pétrocaribe, dont celui de Caroline Estimé, fille de Jean-Robert Estimé, ancien – ministre de Jean-Claude Duvalier et petite fille du président Dumarsais Estimé.

Ce gouvernement n’a donc ni la légitimité morale ni les qualités intrinsèques pour entamer des réformes institutionnelles. Monsieur Jovenel Moise n’aurait pu être candidat si le Pouvoir judiciaire et le Conseil électoral provisoire (CEP) des élections de 2010 et de 2015 n’étaient pas réputés corrompus et/ou soumis. On retrouve parmi les parlementaires de cette législature, un grand nombre d’illettrés et/ou de présumés trafiquants en tous genres. Des bandi legal. Ils y siègent grâce à la violence et aux magouilles des hommes de mains du pouvoir « mickiste », au cours des élections législatives du 9 octobre 2015. Et je ne vois pas non plus, des ministres de l’opposition, dans un gouvernement de cohabitation, ayant les mains libres, sans imposition, comme le pensent ces jeunes citoyens engagés, pour faciliter la tenue d’un procès équitable et le respect des peines du jugement des coupables et des responsables. N’en rêvons pas !

Que faire ?

Nous devons en finir avec la corruption massive et les abus des zotorite qui ont tendance à s’institutionnaliser et qui gangrènent les trois pouvoirs de l’Etat. Nous devons aussi en finir avec la notion de société civile en Haïti, sous la bannière de Conférence nationale, qui est improductive et vide de sens. Sinon un machin que chacun utilise pour déstabiliser tel ou tel gouvernement. La dilapidation sauvage des fonds Petro Caribe et de ceux de la reconstruction nous donne l’occasion d’agir, nous de la vraie société civile citoyenne. Il nous faut plus d’engagements pour consolider les forces du changement et aller encore plus loin que la présidence du gouvernement d’Estimé.

L’affaire Pétrocaribe est une affaire citoyenne. Je suis convaincu qu’il se trouve des citoyens haïtiens de qualité en Haïti et à l’extérieur, capables de penser des solutions à court et moyen terme  pour le reste du quinquennat de M. Moise (2019-2022).

Pour l’instant, nous la minorité progressiste, nous nécessitons pour obligation d’accompagner le peuple et les organisations politiques dans leur lutte pour la vérité sur les fonds Pétrocaribe jusqu’à pousser M. Jovenel Moise à la démission. Par ailleurs, nous devons obligatoirement chercher l’appui international d’autres peuples dans une démarche constructive ; sans exclure aucune institution internationale. Mais nous devons toutefois être conscients de la réalité de nos rapports avec la communauté internationale, qui est aussi la conséquence d’un Etat haïtien failli de ses obligations régaliennes et engagements internationaux, manifestés par une mauvaise gestion de la chose publique.

Nous devrions être en mesure de proposer un gouvernement de transition à la nation haïtienne et pour la République d’Haïti, qui établira les cadres juridiques et techniques pour un procès équitable ; préparer les prochaines échéances électorales ; faire le bilan de nos ressources en matière de production agricole. Capable de dialoguer avec tout le sectaire privé des affaires sans n’en exclure aucune. Etablir de vrais droits pour les Haïtiens expatriés comme le bulletin de vote dans toutes les élections nationales. L’unité doit commencer d’abord à ce niveau là !

Comment?

La minorité progressiste de l’intelligentsia haïtienne doit organiser une conférence nationale – chacun dans son domaine de compétence respectif – avec des Haïtiens vivant en Haïti et ceux de l’extérieur, quelque soit leur nationalité d’emprunt. Ces conférenciers devraient avoir des profils similaires à ceux des jeunes citoyens engagés de Petit-Goâve ; sans la participation des partis politiques, sans le secteur privé des affaires et enfin sans l’Eglise et les religions. S’ils n’ont aucune ambition politique à moyen et long terme 5-10 ans, ils sont l’espoir du changement.

Si ces jeunes citoyens ont pris l’engagement de se réunir, d’autres peuvent continuer l’initiative en organisant une ou plusieurs conférences sous conditions de travailler et accoucher d’un projet de gouvernement pour la fin du quinquennat. Aucun des conférenciers ne pourra intégrer le gouvernement qui aura comme premier objectif de mettre en place les hommes et les moyens pour le procès Pétrocaribe. Et ceci, même si le procès n’arrive pas à son terme à la fin du mandat du gouvernement intérimaire – comme on peut s’y attendre vu l’ampleur du dossier. En aucun cas, un des membres du futur gouvernement ne pourra se porter candidat à un poste électif aux prochaines échéances électorales.

Les conférenciers proposeront le choix d’un premier ministre ayant un profil de rassembleur avec une formation de juriste ou de sciences politiques capable d’expliquer dans la transparence à la population les mesures juridiques, politiques, économiques et sociales qu’entreprend le gouvernement intérimaire. Car il s’agit de faire les choses selon lès règles : retrouver la partie des fonds détournés et punir les coupables selon la loi – et non selon une justice politique de république bananière. Haïti a besoin de cet argent pour investir dans les infrastructures et l’éducation qui sont la base du développement et de la création d’emplois massifs. Le Premier ministre, en collaboration avec les membres de la conférence et des partis politiques, formera un gouvernement d’unité nationale qu’il ne faut pas confondre avec l’union. Un gouvernement composé d’universitaires et de techniciens, issus en majorité des Haïtiens de l’intérieur avec quelques politiques intègres proposés par les partis politiques, serait idéale.

Le gouvernement mettra en place le Conseil électoral permanent qui organisera les échéances électorales dans la transparence et l’inclusion. Certains conférenciers pourraient faire partie du Conseil électoral permanent. Depuis la Constitution de 1987, aucun des gouvernements n’est arrivé à constituer ce conseil électoral permanent pour différentes raisons. Un gouvernement dont aucun membre n’a d’ambition politique immédiate est le plus apte à organiser le Conseil électoral permanent soutenu par l’opinion publique.

Ce gouvernement même de transition devrait créer un ministère de la Fonction publique qui évalue les moyens à utiliser pour commencer les réformes à opérer dans l’administration. Ses objectifs : réduire les privilèges et la corruption au sein de l’Etat : justice, Palais présidentiel, Parlement, ministères, institutions publiques, services douaniers de façon à permettre au ministère des Finances de mettre l’ordre dans les recettes fiscales. L’Etat a besoin d’argent pour réduire le coût élevé de la vie qui touche en premier les masses défavorisées et les sans-emplois. Mais aussi de l’argent pour organiser les élections à venir pour éviter que ce soit le Blan qui les finance avec tout ce que cela comporte comme incertitude sur la transparence.

Comment un ministre de la Justice pourra-t-il arriver à son objectif d’organiser le procès sans se faire assassiner ?

Je dois admettre franchement que je ne suis pas en mesure de répondre concrètement à cette question. Parce qu’on se souvient de l’assassinat du ministre de la Justice, Guy Malary, qui précisément travaillait sur des dossiers de corruption liés aux gouvernements militaires précédents celui d’Aristide/Préval. Seules les pressions populaires me semblent efficaces pour empêcher aux suspects d’agir. Ces hommes de justice qui connaissent la loi devraient eux-mêmes s’engager d’avantage sur les moyens. Notamment en invitant des avocats et juristes internationaux à débattre sur le procès. Une bonne partie de ces fonds repose dans des banques de paradis fiscaux et sous de fausses identités.

C’est ce que tentent de mettre sous pied des citoyens Haïtiens engagés à Paris, des petrochallengersanticorruptions de tous âges qui veulent organiser une conférence internationale autour de la gestion des fonds Pétrocaribe. Ces citoyens ne supportent plus, qu’à cause de la corruption généralisée de la société haïtienne, de jeunes Haïtiens et Haïtiennes sont obligés de se prostituer pour leur survie et celle de leurs familles. Ne serait-ce que pour cette raison, chacun des patriotes de toutes tendances politiques doivent s’engager pour une transformation radicale de la société haïtienne. De trouver une alternative à la simplification ou à la soumission qui fait des luttes politiques de la République d’Haïti, une lutte résumée entre les lavalassiens et les macouto-duvaliéristes-Phtk sans vraiment une vision moderne de la République.

Je ne me prononce pas sur le Parlement en place. Laissant les réflexions à d’autres patriotes engagés, de trouver les relations de ces parlementaires avec un gouvernement de transition qu’ils ne soutiendront pas. Je ne pense pas non plus que ce soit une bataille gagnée d’avance. Car il s’agit bien d’une lutte entre le social et l’ultralibéral, voire une lutte de classe où la violence politique est quotidienne en Haïti. Une violence instituée par les régimes des Duvalier et qui continue à faire peur aux élites progressistes jusqu’à intégrer l’imaginaire collective de la société haïtienne. Nous savons aussi que chacun en s’engageant prend le risque de laisser sa vie. Malgré tout, il faut mener le combat citoyen pour une vie meilleure à la future génération !

Sergo Alexis
chercheur en anthropologie politique et sociale.

  1. Ne pas mettre à l’idée que la doctrine progressisme est une exclusivité de la gauche.
  2. Voir Rezonodwes.com, 27 décembre 2018

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