[OPINION] Radio Kiskeya ou le délit d’un incendie

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LOOP NEWS: 23 DECEMBER 2018 

Par Websder Corneille

J’ai souvent aimé dire que l’incendie est un crime odieux ; à voir crime perpétré par les forces naturelles ou surnaturelles contre elles-mêmes. Pour être correct, je ne fais pas trop de confiance à mon imagination lorsqu’il venait de qualifier la dévastation de l’emblématique Marché en fer de Port-au-Prince dans la nuit du 12 au 13 février dernier, où encore, ce vendredi 21 décembre, l’incendie du patrimoine audiovisuel Radio Kiskeya. Comme à chaque fois, c’est la mémoire qui chante son libera ou la médiocrité qui se renforce, donc une partie de nous qui s’envole en fumée noire.

Et puis… les autorités haïtiennes qui viennent réciter la litanie des Saints dans une langue jusqu’alors compréhensible à elles-seules. Moins de vingt-quatre heures après le sinistre, n’a-t-on pas écouté le chant de solidarité d’un ancien chef d’État d’Haïti qui avait vilipendé à longueur de carnavals la journaliste vedette de la station? N’est pas Haïti qui veut. Il est de nature que dans l’immédiateté d’un incendie les soupçons se forgent et les cicatrices s’en sont pris corps, délibérément. Sans accusation aucune, à qui profite le crime de Radio Kiskeya ?

J’aurais aimé dire à l’amnésie et à la médiocrité. Ces deux maladies incurables rongent la société haïtienne contemporaine, et, me semble-t-il, qu’aucun palliatif ne soit encore retrouvé pouvant apaiser les malaises qu’elles ont engendré, bâbord et tribord. Le géant professeur Leslie F. Manigat l’avait compris, mais il n’a pas su offrir une panacée.

D’abord, l’amnésie. Elle provoque une rupture avec la logique, le bon sens et/ou l’histoire. Avant hier encore, nul ne pouvait ignorer le rôle fondamental qu’a joué Radio Kiskeya dans la transmission des savoirs en rapport avec le régime sanguinaire des Duvalier et Cie. Sans forcer les traits, Lilianne Pierre-Paul, journaliste senior de la radio et figure symbolique du paysage audio en Haïti, a subi les atrocités de ce système infrahumain implanté pendant vingt-neuf ans au pays. Elle a même connu le sentiment de l’exilé. Dans la meme veine, j’aurais pu évoqué l’émission “Fèy papye listwa” (Les pages de l’histoire) présentée par le journaliste chevronné Fritz Valesco du lundi au jeudi entre 10h30 et midi. Cette émission diffuse au quotidien des savoirs liées à l’Histoire d’Haïti. J’aurais pu parlé de Lyonel Antoine Trouillot, Gotson Pierre pour ne citer que ceux-là.

Ensuite, la médiocrité. Je suis originaire de la Faculté de Linguistique Appliquée (FLA) de l’Université d’Etat d’Haïti. Durant mon cycle d’études (2010-2014), pas moins de quatre-vingt pourcent (80%) des travaux de mémoire réalisés par des étudiants dans le champ de l’Analyse du discours (volet presse parlée) ont choisi Radio Kiskeya, précisément l’édition de nouvelles Jounal Katrè présentée par la journaliste Lilianne Pierre Paul, comme échantillon représentatif. Des professeurs m’avaient même conseillé d’écouter régulièrement les Éditos de Marvel Dandin. Après tout, qui pour feindre de les ignorer?

J’ai honte de la prochaine cohorte d’étudiants- en provenance de la FLA- animés du meme fantasme de faire de Radio Kiskeya le point de depart d’un travail de recherche qui viendra couronner un cycle d’études de quatre (4) ans. Cette fois, d’où proviendront les ressources?

En parlant de Radio Kiskeya, j’évoque simultanément la ligne éditoriale de la station, le format des emissions, la qualité de la production, l’éthique et l’identité intellectuelle des journalistes ou, pour tout raccourcir, le symbole de la résistance que représente cette institution depuis son existence. Je lâche un soupir à chaque fois en regardant les reliques de cette prestigieuse enseigne. Sa perte vient enfoncer le clou dans un corps à l’agonie où les maitres-nageurs sont de beaux improvisateurs-capitaines sans, forcément, connaitre la mission des vrais garde-côtes.

Nous sommes lâches parce qu’on a rien sauvé, même de bon débris pouvant être utile aux sans-abris. Toutefois, Radio Kiskeya restera le récit de nos vies. Et le délit d’incendie n’en finira pas.

Websder Corneille

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