Durant les 20 ans d’existence de la PNH, des centaines de fonctionnaires brillants ont dû s’orienter ailleurs et des milliers souffrent en silence à cause d’une mafia qui fait main basse sur l’institution
par Kerlens Tilus
Vendredi 7 décembre 2018 ((rezonodwes.com))– Un syndicat peut jouer un rôle important dans l’organisation et le fonctionnement de la Police Nationale d’Haïti vu que la mission des syndicats consiste avant tout à défendre les conditions de travail des fonctionnaires de police qui influent sur leur performance et bien-être.
Max Weber, dans sa définition sociologique de l’État avance que ce dernier doit avoir le monopole de la violence physique légitime sur son territoire. Ceci dit, la Police Nationale d’Haïti devrait garder le monopole de la lutte contre la criminalité, le grand banditisme, les réseaux de trafic de stupéfiants et de proxénétisme, et l’immigration clandestine. Dans une étude publiée par le HASOW en Mai 2013, Athena R. Kolbe conclut que l’état haïtien n’a pas le monopole de la violence légitime sur le territoire national et dresse un tableau lamentable de la situation sécuritaire en Haïti. D’après ce document, nous savons que la violence est organisée en Haïti et que les gangs urbains, des groupes d’anciens militaires, des milices privées, des réseaux criminels associés à des politiciens, les riches et puissantes familles ont le monopole de la violence.
La Police Nationale Haïtienne créée le 12 Juin 1995 par l’ICITAP a pour mission d’assurer la sécurité publique, la police judiciaire et le maintien de l’ordre sur l’ensemble du territoire de la République d’Haïti. Durant les 20 ans d’existence de la PNH, des centaines de fonctionnaires brillants ont dû s’orienter ailleurs et des milliers souffrent en silence à cause d’une mafia qui fait main basse sur l’institution. Les bonnes conditions de travail sont une source de motivation pour tout employé. Dans le but de permettre à la PNH de remplir sa mission efficacement et sortir de l’aloralité criminelle, nous plaidoyons pour sa syndicalisation.
Il faut rappeler à tout un chacun les circonstances dans lesquelles la Police Nationale d’Haïti avait pris naissance. Les Forces Armées d’Haïti(FADH) était décriée comme une institution pourrie et inefficace qu’il fallait à tout prix démanteler. Les hommes de gauche ayant à leur tête le président Jean Bertrand Aristide criait à cor et à cri en 1994 après le retour de ce dernier : « kraze lame a, banm kò polis la ». L’ICITAP a réalisé un travail de titan en 8 mois pour doter Haïti d’une force de police plus ou moins moderne qui pourrait combler le vide laissé par les FADH et assurer la sécurité publique efficacement.
En Septembre 1998 au transfert de commande aux autorités haïtiennes, le président Jean Bertrand Aristide qui téléguidait le président René Préval a commencé avec l’encanaillement de la nouvelle force de police. Chenet Jean Baptiste, un ancien responsable de la PNH a réalisé un travail exhaustif sur cette période qui mérite d’être consulté. Il y avait une lueur d’espoir pour Haïti puisque de jeunes intellectuels de belle eau avaient abandonné leurs études universitaires et leur carrière professionnelle prometteuse pour intégrer la PNH. De jeunes anciens militaires très dynamiques et compétents ont offert leurs services également.
Malheureusement, les élites haïtiennes et les dirigeants maladroits au timon des affaires n’ont pas cru en la nécessité de protéger et de renforcer cette institution. Durant près de 20 années, le haut commandement de la PNH a installé un climat d’insécurité au sein de l’institution combattant les fonctionnaires de police qui réclament sa professionnalisation, de meilleures conditions de travail et la valorisation du travail de ces derniers. La PNH est en elle-même un repaire de bandits ayant le monopole du trafic des stupéfiants et des cinq institutions : clientélisme, corruption, menaces de violence, la désobéissance civile et le droit coutumier qui constituent un frein au processus de démocratisation selon Hans-Joachim Lauth.
Dans le souci d’être très objectif, nous avons passé en revue le travail effectué par les différents directeurs généraux et secrétaires d’état à la sécurité publique qui étaient directement impliqués dans la gestion de l’institution et avons remarqué que ceux qui essayaient de suivre le plan directeur dressé par l’ICITAP à la lettre ont du démissionner ou battre en retraite. L’histoire retiendra qu’aucun directeur général de la PNH n’a pu réellement permettre à l’Etat haïtien d’avoir le monopole de la violence physique légitime sur le territoire national.
Des colloques ont été organisé sur la sécurité publique, récemment l’OEA a décidé de doter Haïti d’un système de défense, rien de probant n’est sorti de ces actions. Est-ce qu’il y a une volonté réelle de faire de la PNH la seule force véritable capable de protéger les vies et les biens? La PNH peut-elle gagner la bataille contre la violence organisée et le banditisme institutionnalisé avec des élites répugnantes qui tirent profit de l’anomie et qui contribuent à l’atrophier?
Il est très difficile d’effectuer un changement radical au sein de la PNH sans un consensus politique et une volonté réelle de la part des classes dirigeantes de remettre les pendules à l’heure. La stabilité politique est indispensable pour arriver au développement durable. Pour obtenir la stabilité politique, il faut bien une force capable de fonctionner selon les prescrits de la Constitution et hors de l’informalité qui caractérise le système politique haïtien. En somme, il faut revaloriser l’institution policière, effectuer des reformes et mettre en confiance les fonctionnaires de police.
La Police Nationale d’Haïti fonctionne dans l’informel depuis 1998. Les dérives des FADH qu’on voulait corriger continuent à perdurer au sein de la PNH. L’acte constitutif de l’institution policière laisse entrevoir qu’elle est une institution démocratique qui doit s’épanouir, se redéfinir et être dynamisée. Le Recueil de Textes de la Police Nationale d’Haïti, Manuel 3 regroupe un ensemble de textes qui régissent le fonctionnement de l’institution.
Certains textes sont confus et prêtent à équivoque. Malgré tout, l’acte constitutif de la PNH garantit le droit d’expression « dans le respect des Dispositions du Statut General des Fonctionnaires de police et de ses textes d’application ». L’article 11 du Règlement Provisoire de Discipline Générale stipule que « le policier peut individuellement faire des propositions visant à améliorer les conditions d’exécution du service ainsi que des questions relatives à sa situation personnelle, soit à l’autorité supérieure en utilisant la voie hiérarchique, soit aux organismes de concertation lorsqu’ils seront créés ».
Un syndicat de police est un organisme de concertation qui répond aux exigences de l’article 11 du Règlement Provisoire de Discipline Générale. Pourquoi le Haut Commandement de la PNH refuse d’agréer la demande des fonctionnaires de police qui réclament la création d’un syndicat capable de discuter avec les responsables de l’institution et les responsables de sécurité publique pour garantir leurs droits non respectés, améliorer les conditions de travail et réfléchir sur les multiples auxquels l’institution est confrontée ?
Un syndicat de police au sein de la PNH peut favoriser un travail de concertation où les policiers peuvent s’exprimer librement sur leur vécu, la réalité de l’institution et participer activement à son redressement. Dans tous les pays démocratiques avec des institutions formelles, les policiers ont droit à se regrouper au sein d’organismes de concertation, ce qui est prévu également dans l’acte constitutif de la PNH.
Il serait bénéfique à tout un chacun que ce droit puisse être exercé par les policiers haïtiens. Il est inacceptable que les fonctionnaires de police soient minimisés dans l’exercice de leurs fonctions et puissent être l’objet de représailles de la part de ceux qu’ils doivent combattre. La sécurité publique ne se résume pas à une question d’armes à feu, de patrouilles policières et de services d’ordre. Il faut repenser le système de sécurité publique. Combien de criminologues professionnels a-t-on au sein de la PNH ?
Que fait-on de tous ces individus qui ont reçu des bourses d’études et qui sont retournés dans le pays après leur formation ? Pourquoi un policier qui mène une vie exemplaire ne peut pas vivre décemment ? Quels sont les mécanismes en place pour combattre les cinq institutions citées plus haut promues par le haut commandement qui entravent la démocratisation du pays comme la corruption et le clientélisme ? Les trafiquants de drogue, les kidnappeurs et les assassins au service des clans au sein de la PNH sont récompensés et continuent à y faire la loi.
La plupart des policiers haïtiens se sont engagés corps et âme pour exercer leur profession dans le respect de la Constitution et selon le code déontologique de l’institution policière. Parler de l’autorité de l’Etat c’est parler avant tout d’une force capable d’assurer le monopole de la violence physique légitime et soit le garant de la sécurité publique et de l’ordre social. Le pays ne peut plus continuer à vivre sous les menaces de violence de gangs violents et d’un petit groupe de racailles. Le peuple haïtien doit faire front commun avec les policiers pour exiger des réformes qui ne peuvent être favorisées en dehors d’un organisme de concertation qu’est un syndicat.
A l’approche des élections, les policiers haïtiens doivent faire preuve de lucidité pour ne pas se laisser manipuler par des politiciens et l’oligarchie économique contre le peuple. Nous lançons un appel solennel aux candidats et futurs parlementaires de faire de la plaidoirie pour la syndicalisation de la Police Nationale d’Haïti leur cheval de bataille. L’un des actes majeurs que la 50ème législature aura à poser est une résolution pour repenser la sécurité publique et effectuer des réformes au sein de la PNH. Le travail des élus ne peut porter fruit sans un climat de sécurité propice, à moins qu’ils veuillent continuer à marcher dans la logique de l’inaptocratie.
Nous n’encourageons pas les policiers à s’engager dans la politique, ni de faire des grèves, mais ils doivent se constituer en groupes de pression pour faire du lobby auprès des potentiels candidats et pourquoi pas soutenir leurs pairs qui veulent se porter candidats aux postes électifs. Le Haut Commandement de la PNH sent déjà la menace, voilà pourquoi qu’il commence à intimider les policiers qui veulent se porter candidats. Jusqu’à quand continuerons-nous à fonctionner dans l’informalité? Haïti a grand besoin de son John Edgar Hoover.
En attendant qu’une équipe responsable prenne en charge la barque nationale et travailler sérieusement pour instaurer l’autorité de l’Etat, engageons-nous pour rendre possible la syndicalisation de la Police Nationale d’Haïti comme prévu dans les règlements internes. Une telle initiative permettra aux fonctionnaires de police de jouir de tous leurs droits et d’évoluer dans un climat serein qui favorisera un rendement maximal. Nous devons lutter pour trouver une solution à la violence organisée et le banditisme d’État. Aider les policiers dans cette lutte légitime, c’est garantir notre propre existence sur la terre d’Haïti.
Kerlens Tilus 4/1/2015
Snel76_2000@yahoo.com