08 octobre 2018
L’agression brutale subie par la mairesse de la commune de Tabarre, Nice Simon, de la part de son conjoint, a eu l’effet d’une bombe dans le landernau politique. Il a fallu beaucoup de courage à cette dame violemment tabassée pour se présenter face à l’opinion et exposer en public des parties de son corps meurtri par d’insoutenables sévices corporels. Une attitude louée par plus d’un et qui a permis de jeter une lumière crue sur une violence rampante contre les femmes qui se déroule malheureusement dans le silence honteux et/ou coupable des victimes et de leurs proches. Le témoignage de l’élue constitue une démarche fort utile dans la lutte contre l’indignité subie quotidiennement par la gent féminine.
Ce que l’élue de Tabarre a révélé est un fait divers dans un pays où il n’existe aucune loi pour protéger les femmes et plus largement la famille de ces cas récurrents de violence domestique. La démocratie dont nous rêvons un jour pour ce pays sera toujours incomplète si une législation haïtienne plutôt vigoureuse ne vient pas contenir ces débordements sauvages. Il se trouve que dans notre pays, il existe une acceptation tacite de ces violations des droits humains. Haïti n’est certes pas une exception, mais le vide législatif sur la question est abyssal. Ces « attentats » contre le corps des femmes sont ici et ailleurs vécus comme faisant partie des règles d’un jeu infernal de la vie de couple. Un avocat opinant sur la question fait remarquer que lorsqu’une femme se fait physiquement abuser, il n’est pas rare d’entendre cette réflexion de la part de témoins, « Pou ki sa w ap bat li konsa, li pa fout fanm ou ». Comme quoi, il serait « culturellement » permis de frapper sa femme, sa concubine ou même sa petite amie.
Le consentement d’une femme ou d’une jeune fille dans le cadre d’une relation amoureuse équivaut ainsi à une reddition totale de sa volonté et de son corps. Il s’agit alors d’une prise de possession par un prédateur masculin de sa personne rendue captive et avec parfois des risques mortels. Une certaine manière d’éduquer nos filles les prépare à accepter une condition féminine inférieure et en conséquence à subir les avanies et les humiliations d’un homme qui ne serait pas satisfait de ses services domestiques. Nous aimons bien la chanson “Angelina chita kay manman ou”. Toutefois, elle résume fort bien une manière de voir le rôle des femmes dans la société. Ce que le conjoint de madame Simon a semblé lui reprocher, c’est son manque d’obéissance sur, affirme-t-elle, des questions qui ne relèvent pas de la sphère privée et qui concernent des affaires d’État. Cette femme élue serait donc considérée comme une « mineure » et son compagnon s’est cru permis de lui en imposer jusque dans ses responsabilités étatiques. Ce faisant, il viole non seulement les droits de sa compagne, mais bafoue du coup ceux des électeurs de Nice Simon.
Dans le cadre d’une enquête commanditée par ONU-FEMMES, le sociologue Laënnec Hurbon a révélé au public toute la complexité du phénomène des femmes qui s’engagent en politique. Sa rencontre avec des militantes politiques est assez édifiante quant aux obstacles que doivent franchir les candidates. Par exemple, la candidate Miralda Jumeau a, lors des élections de 2015, fait l’expérience des violences contre les femmes. Elle s’est fait traiter de « putain », de « lesbienne », de telle sorte qu’une femme doit avoir un « moral de guerrière pour affronter une telle épreuve ».
Natacha Clergé de “Fanm yo la” qui s’est aussi confiée au chercheur et professeur Hurbon ne dit pas autre chose, elle confirme le malaise qui enveloppe la candidature des femmes qui se lance dans politique active : « Dans le département de Nippes, des hommes candidats concurrents vont dans les églises déclarer qu’une candidate est lesbienne et qu’il ne faut pas voter pour elle ». Ce ne sont là que deux des nombreux témoignages de cette enquête bien documentée sur femmes et politique en Haïti et qui sont révélateurs de l’épaisseur du problème.
Le tollé provoqué par l’affaire Nice Simon dans l’opinion publique participe de ce front du refus qui s’est depuis quelque temps constitué contre la corruption généralisée qui gangrène le corps social. Ce peuple est fatigué des scandales qui germent dans son quotidien. Les citoyens appellent depuis longtemps à un changement de paradigme.
Et la bonne nouvelle est qu’ils exigent que la démocratie haïtienne ne fasse pas table rase de la morale et de l’éthique, et ce jusqu’à secouer le joug du vieux machisme haïtien.
Roody Edmé