2 octobre 2018 Rezo Nodwes
par le juge Johnson Jean-Pierre
Mardi 2 octobre 2018 ((rezonodwes.com))– Tel que le veut la tradition, en ce premier lundi du mois d’octobre 2018, tous les acteurs du Pouvoir Judiciaire (Juges, Avocats, Greffiers, Huissiers, etc.) se sont assemblés pour marquer la reprise des travaux judiciaires. Laquelle assemblée se tient dans toutes les 18 juridictions des Tribunaux de Première Instance de la République, et à laquelle ont été invitées des personnalités du monde politique, religieux, diplomatique, médiatique, etc. ; celle de Port-au-Prince a été tenue à la Cour de Cassation de la République.
Si pour cet événement combien symbolique et significatif, les acteurs du système n’ont pas besoin d’invitation, d’ailleurs ce serait un non-sens – c’est comme demander à un Député de se prémunir d’une invitation pour participer à la séance de reprise des travaux législatifs –, la juridiction du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince a créé la surprise. En effet, des acteurs du système plus spécifiquement des Juges de Paix de cette juridiction se voient interdits de pénétrer l’enceinte de la salle où se déroule la cérémonie sous prétexte qu’ils n’y ont pas été invités.
Pire encore, au moment où la Cour faisait son entrée, le Président de la Cour de Cassation s’était fait précéder de ses pairs, des Magistrats d’Appel, des Magistrats au Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, et non de Juges de Paix. Ces derniers ont été purement et simplement mis en quarantaine. Quelle déception ! Quelle désinvolture ! Quelle marginalisation ! C’est comme la révolution qui mangerait ses propres fils.
Chose hideuse ! Ce qui est le plus marrant, dans le même bâtiment se produisent deux faits insolites : les invités sont en live dans une salle et, à quelques pas près, ce, grâce à la magie de la technologie, ils sont en différé dans une autre salle. Cette dernière est aménagée pour les éviter (ceux qui se sont vus refuser l’accès à la cérémonie) de la rentrée judiciaire, avec l’imposition d’un grand écran. Le hic, la salle de cinéma était tellement remplie, qu’on n’avait d’autre choix que de filer à l’anglaise.
Bref !
Collègues Juges de Paix, pairs exclus de la rentrée judiciaire, Confrères Avocats, Chers Greffiers et Huissiers, cette indignité doit nous servir de leitmotiv. Ainsi, il est opportun de rappeler que « Le pouvoir judiciaire, indépendant des Pouvoirs Exécutif et Législatif, est exercé par la Cour de Cassation, les Cours d’Appel, les tribunaux de première instance, les tribunaux spéciaux et les tribunaux de paix », art. 1er de la loi de 2007 portant statut de la Magistrature. Il s’ensuit donc, qu’on ne saurait parler de Pouvoir Judiciaire en excluant les Juges de Paix, en les marginalisant davantage. Qui pis est, cette exclusion est l’œuvre de celui qui a la charge de matérialiser l’indépendance dudit pouvoir, en l’occurrence le CSPJ.
Nous ne pouvions connaître pire déception que celle de ce matin 1er octobre 2018 ; ce, à l’ère de la reddition des comptes, au moment où la Presse exige de la transparence dans la gestion de la Res Republica tout en mettant à nu les privilèges des grands commis de l’État particulièrement de ceux-là même qui administrent le Pouvoir Judiciaire. Nous, Juges de Paix, Juges de proximité qui sommes le plus proche de la population, pilier de la justice, ne méritons pas de tels traitements.
Collègues Magistrats, Confrères Avocats, Chers Greffiers et Huissiers, nous tous du système de justice, reddition de compte, transparence dans la gestion des affaires de l’État, redistribution ou meilleure répartition des privilèges ne sont-ils pas les batailles à livrer cette année, tel qu’un agenda que se fixeraient les opprimés, les frustrés, les marginalisés, les exclus ? Oui, un agenda il nous en faut ! D’ailleurs quel est le contenu des discours de cette année ? Quel bilan pour l’exercice 2017-2017 ? Ane sa, se ane : EKSPLIKASYON, FRAPE DO MEN, ELEKSYON, MANIFESTASYON, elatriye. Jij Lapè yo bezwen yon Sovè, yo bezwen afeksyon.
Dans cette perspective, si jamais les cris des Juges de Paix parviendraient jusqu’à vous, vous, les trois Pouvoirs de l’État – chacun en ce qui le concerne -, vous devriez comprendre 2 choses : 1) Les révolutions, comme les fleuves, grossissent dans leur cour (Chateaubriand); car, 2) À un Prince, il est nécessaire d’avoir l’amitié du peuple (Machiavel).
Cette rentrée judiciaire sur front d’exclusion des Juges de Paix, nous tente à commencer l’histoire du Pouvoir Judiciaire sous de nouveaux assauts.
N’est-ce pas là, à certains égards près, l’appel du Bâtonnier de Port-au-Prince : AGIR POUR CHANGER LE FONCTIONNEMENT DU PAYS ?
Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Port-au-Prince, Stanley Gaston, nous avions été certes exclus de la rentrée judiciaire mais, grâce à la technologie, votre allocution nous était parvenue en fin d’après-midi via courriel. Elle nous a réanimés/ ravivés et nous en profitons pour vous en donner acte :
« Quasiment toutes les institutions ont failli. À ce constat deux conséquences pourraient se produire : soit une révolution violente et sanglante avec son lot d’imprévus, soit l’action de l’État ainsi que de ses institutions en vue de changer le fonctionnement du pays. […]. Dans ce panorama, seule la justice, institution de régulation et de moralisation, peut renverser la situation. Ce n’est pas que la Justice soit mieux lotie que les autres. Mais, son positionnement dans l’appareil étatique en fait un rempart à partir duquel le progrès reste envisageable ».
De ce constat combien reluisant et face à cette prémonition du Bâtonnier, qu’il nous soit donc permis d’alerter tous les professionnels du droit sur l’urgente nécessité de faire front commun sur les problèmes de dysfonctionnement du système judiciaire. Nous devons nous grouper autour d’une seule et même table aux fins de scruter le devenir de la justice. Car, cette dernière, comme vous l’affirmez, Monsieur le Bâtonnier, « représente le miroir de la société. Ce n’est pas la justice qui est à l’image de la société, c’est de préférence la société qui est à l’image de la justice. Tant vaut la justice tant vaut la société ».
Collègues Magistrats, Confrères Avocats, Chers Greffiers et Huissiers, nous tous du système de justice, faisons front commun et disons halte-là ! La faiblesse du système ne peut profiter à personne. Unissons-nous ! Il est plus qu’impérieux de modifier le cours des choses.
Une synergie peut contribuer sur bien des points au redressement de la barre. Nous avons le devoir de redonner confiance aux justiciables en leur justice.
Sur ces entrefaites je ne puis m’empêcher de vous convier, vous, Acteurs et Auxiliaires de la justice, à un ultime tête-à-tête. Un dernier assaut nous attend.
À vous tous, Professionnels du droit et tous ceux-là qui y ont intérêt, ne vous faîtes pas marchander car, tel que René PLEVEN le dit, « la Justice, c’est comme la lumière. On ne sait pas ce qu’elle est vraiment. Mais quand elle n’est pas, on souffre horriblement de son absence ».
Au laxisme des Pouvoirs Exécutif et Législatif ainsi que judiciaire (CSPJ), un front commun s’impose pour sauver la justice de son marasme.
Johnson Jean-Pierre
Juge