Le Groupe de réflexion et d’action pour une Haïti nouvelle (Grahn) a mobilisé plus de 1200 personnes de la diaspora et du pays pour la Semaine de la science et du savoir à Génipailler, du 22 au 28 avril, près de Milot, dans le Nord d’Haïti. Les visiteurs, Haïtiens comme étrangers, ont dû loger au Cap-Haïtien et ont été horrifiés par l’insalubrité de la deuxième ville du pays
Photos et texte : Nancy Roc
Cap-Haïtien, dimanche 29 avril 2018 ((rezonodwes.com)).–« Je suis venue au Cap-Haïtien en 2016, pour la première fois, dans le cadre d’une noble cause : le lancement de l’événement annuel du Grahn, le Pôle d’innovation du Grand Nord (PIGraN) », déclare Maryse Chouloute, enseignante au Québec. A l’époque, elle avait déjà constaté l’état lamentable de la ville, mais, « de retour dans cette même ville deux ans plus tard, j’ai constaté une dégradation sans pareille. J’ai commencé à me questionner sur le comportement des responsables de cette ville. On dirait que cette ville, au passé historique si important, est comme une enfant qui est devenue subitement orpheline et abandonnée par tous les autres membres de sa famille », se désole-t-elle.
Et de fait : l’ancien Cap-Français ou Cap-Henri, créé en1670, et qui fut la plus belle ville d’Haïti et la plus riche des Antilles au 19ème siècle, est passée de la richesse aux guenilles. L’entrée de la ville est un véritable dépotoir où grouille une population laissée à l’abandon et dans une misère sans nom. « En sortant de l’aéroport je suis passée par le Boulevard du Carenage », poursuit Maryse Chouloute. « En tant qu’Haïtienne d’origine, j’ai eu honte de constater les tas de déchets qui jalonnaient le bord de mer, pour ne citer que ce coin. Je me demande si la communauté de cette ville est devenue aveugle ou si elle choisit de vivre dans le déni. Car, c’est impossible de vouloir accepter une telle situation. C’est inconcevable ! », se révolte cette membre de Grahn-Monde qui investit pourtant son temps, sa compétence et ses économies pour œuvrer au progrès social en Haïti.
Sous l’administration Martelly-Lamothe, l’argent du fonds PetroCaribe coulait à flots, notamment pour entretenir les caisses du Ministère du Tourisme, dirigé par une des femmes les plus influentes du pouvoir Tèt Kalé, Stéphanie Villedrouin. Cette dernière, avec le soutien du président Martelly, s’est lancée dans une course effrénée pour replacer Haïti sur la carte mondiale du tourisme avec le slogan, ‘’ Haiti, se la pou’w la’’, dont la difficile traduction a été « Expérimentez-moi ». Mais en amont, le travail de base n’avait pas été fait : pas de nettoyage systématique des villes touristiques, pas de services au point, pas de formation adéquate pour accueillir les touristes, pas assez de chambres d’hôtels et surtout pas de vision du type de tourisme auquel le pays serait voué.
Le Cap Haïtien qui est encore la ville avec le plus de potentiel touristique en Haïti, a vu sa population exploser ces dernières années sans que les autorités n’y accordent de l’attention. Les dernières statistiques de l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI), remontent à 2015 et font état de 274 000 habitants. Le peu de centres de services du Cap, se retrouvent dans le Centre-ville alors que toutes les zones périphériques sont constituées de bidonvilles qui ne répondent à aucune norme d’un plan d’urbanisme planifié.
La population du Cap croule sous les déchets qui ne sont gérés par aucune entité responsable. « Il y a deux grands centres de production de déchets à travers la ville qui sont les deux marchés principaux. Les canaux et les égouts sont parmi les grandes victimes de ce fléau. Dans les zones périphériques, les fatras sont surtout jetés dans la rivière du haut du cap et à Fort Saint-Michel. Parfois cela est fait dans le but de créer des polders pour la construction. Cette mauvaise organisation empêche la bonne circulation des eaux de ruissellement. Voilà pourquoi la ville ne peut pas supporter deux heures de forte pluie », explique Roll Emile, dans le quotidien Le National[i]
Les Haïtiens survivent dans un pays hors normes où rien n’est respecté. Il en est de même pour le Cap Haïtien, devenu une immense poubelle à ciel ouvert. Cette insalubrité éhontée a été évoquée lors du panel inaugural du Grahn, le mardi 24 avril, devant la sénatrice du Nord, Dieudonne Luma Étienne. Cette dernière a évoqué la nécessité que chaque citoyen s’implique pour résoudre ce problème mais Marlène Hyppolite, professeure à la retraite à Ottawa et membre du Grahn lui a opposé son désaccord : « L’État en Haïti est démissionnaire », a-t-elle rétorqué. « Il n’est pas normal que le bord de mer soit rempli de fatras, il n’est pas normal que lorsque l’on visite La Citadelle, on doive surveiller poser nos pieds pour ne pas marcher sur des excréments ; il n’est pas normal qu’il n’y ait pas de toilettes pour les visiteurs », a-t-elle dénoncé. « Les touristes payent des frais d’entrée pour pouvoir se sentir à l’aise mais le gouvernement préfère investir dans la débauche ou le carnaval plutôt que dans le bien-être de sa population ou des visiteurs », a-t-elle conclu sous les applaudissements du public.
Les Haïtiens clament leur fierté, en particulier les Capois. Mais c’est une fierté mal placée car la propreté publique est à la base de tout développement. Personne ne veut venir dans des endroits sales. Sans ce minimum, Haïti sera toujours un pays de détritus et au slogan ‘’ Haiti, se la pou’w la’’ on pourra ajouter officiellement : ‘’ nan fatra’’- Haïti, expérimentez-la dans les fatras!
Texte et photos
Nancy Roc
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[1] La ville du Cap-Haïtien à travers sa mauvaise planification, Le National, 1er février 2018.