14 novembre 2018 Rezo Nodwes
Après avoir observé attentivement tous les travaux de l’institution parlementaire au cours des deux sessions ordinaires de l’année législative en cours, l’Observatoire Citoyen pour l’Institutionnalisation de la Démocratie (OCID) a présenté un bilan critique à l’attention des acteurs concernés et de l’opinion publique haïtienne
Mercredi 14 novembre 2018 ((rezonodwes.com))– L’analyse des données collectées par l’Observatoire, depuis l’ouverture de la première session législative au deuxième lundi de janvier 2018 jusqu’à la fermeture de la deuxième session au deuxième lundi de septembre 2018, a permis de conclure à un bien maigre bilan du Parlement haïtien pour la période. Tandis que chacune des deux chambres du Parlement haïtien devrait tenir en moyenne douze (12) séances plénières par mois, à raison de trois (3) séances par semaine, le Sénat en a eues seulement 32 et la Chambre des Députés 34 pour toute l’année. Par exemple, en août et en septembre, le Sénat de la république n’a réalisé qu’une séance plénière par mois. La Chambre des Députés a connu une situation similaire en juin et en septembre.
La même tendance est observée pour la tenue des rencontres de la Conférence des Présidents, haute instance décisionnelle au niveau des deux Chambres du Parlement. Les données collectées et disponibles indiquent que dix (10) Conférences de présidents ont été réalisées à la Chambre des Députés et six (6) au Sénat. De plus, les dix-sept (17) commissions permanentes du Sénat ont réalisé au total quarante-cinq (45) rencontres de travail. Tandis que seulement 8 commissions permanentes sur 20 à la Chambre des Députés ont pu se réunir au moins une fois (soit 13 rencontres au total).
Le constat est le même en ce qui concerne les textes votés par les deux Assemblées : onze projets de loi et trois (3) propositions de loi ont été adoptés par la Chambre des Députés, cinq (5) projets de loi et trois (3) propositions de loi ont été adoptés par le Sénat. Un total de sept (7) textes votés par les deux Chambres et une Résolution du Sénat ont été transmis à l’Exécutif pour publication.
Parallèlement, l’Observatoire note que pas moins de 33 projets et propositions de loi et 18 instruments internationaux sont encore en souffrance au Parlement.
En ce qui a trait au contrôle de l’action gouvernementale, le Sénat a tenu cinq (5) séances au cours des deux (2) sessions de l’année législative 2018, mais pour la Chambre des Députés, l’Observatoire a noté seulement la séance d’interpellation du gouvernement dirigé par le Premier Ministre Jacques Guy Lafontant.
Il est donc évident qu’un tel bilan parait maigre, d’autant que les données disponibles permettent d’estimer qu’un Sénateur de la république coûte près de 14 millions de gourdes au trésor public et un Député du peuple environ 9 millions de gourdes annuellement. Ce déséquilibre entre
l’efficacité et le coût du Parlement semble justifier le faible niveau de satisfaction des citoyennes et des citoyens exprimés lors de l’enquête conduite par l’OCID, du 30 mai au 5 juin2018, pour sonder l’opinion des citoyennes et citoyens haïtiens concernant le travail de leurs mandataires au Parlement.
Ce sondage, réalisé auprès d’un échantillon aléatoire de 906 individus âgés de 18 ans et plus, dont les numéros de téléphone ont été tirés au hasard d’une base de données géo-localisée de numéros anonymes, a permis de relever les constats suivants :
a) Les citoyennes et les citoyens du pays sont assez peu informés sur le travail réel effectué par le Parlement et ont des rapports très limités avec ceux et celles qu’ils avaient élus pour les y représenter. En effet, 65% des participants et participantes à l’enquête ont confié qu’ils/elles ne connaissent pas l’adresse du bureau de leur Député-e, et ce pourcentage caracole jusqu’à 80% en ce qui concerne leurs Sénateurs/Sénatrice.
b) Les citoyennes et les citoyens interrogés sont en général très insatisfaits de la performance du Parlement. Pas moins de 31% d’entre eux/elles estiment que le Parlement fait un travail « très médiocre », tandis qu’un autre groupe de 12% le qualifie de « médiocre ». Seulement 29% pensent que c’est un travail acceptable. Cependant, il est intéressant de noter que l’évaluation de la performance du Parlement après l’évocation d’une liste de 10 lois votées récemment a induit une amélioration dans l’appréciation que les sondés font du travail du Parlement. Quand on leur a demandé une deuxième fois d’évaluer le travail du Parlement, 36% ont estimé qu’il est « acceptable » (contre 29% avant) et 24% qu’il est « très médiocre » (contre 31% avant).
c) En général, les citoyennes et les citoyens ne se retrouvent pas dans les lois votées.
Seulement 5% d’entre eux/elles pensent que les lois spécifiques citées répondaient pleinement ou partiellement aux besoins de la population. Et plus d’un tiers (38%) pensent même que ces lois ne répondent aucunement aux besoins de la population.
d) Une large majorité des citoyennes et citoyens interrogés souhaitent pouvoir échanger avec leurs parlementaires par quatre principaux moyens de communication : le téléphone (58%), les rencontres avec les organisations communautaires de base (26%), la radio (17%) et les visites domiciliaires (15%).
e) En ce qui a trait aux promesses de campagne, 63% des personnes interrogées pensent que leur Député-e n’a tenu aucune des promesses de campagne (contre 17% qui croient le contraire, tandis que 14% ne sont pas du tout au courant des promesses faites). Et la situation est similaire en ce qui concerne les sénateurs (62% croient qu’il n’y a pas eu de promesse tenue, contre 16% qui affirment le contraire et 15% qui ignorent l’existence
même des promesses électorales).
Fort de ces constats, l’OCID recommande aux acteurs concernés d’envisager les mesures suivantes :
a) Une stratégie de communication appropriée du Parlement prenant en compte la vulgarisation du travail accompli et, en particulier, l’implication sociale des lois et accords votés ;
b) L’intensification des échanges avec la société civile locale au niveau des circonscriptions et des départements, en particulier en renforçant le rôle des bureaux des parlementaires sur le terrain ;
c) L’éducation des citoyennes et des citoyens sur l’importance et le rôle du Parlement dans un régime démocratique ;
d) Plus de transparence dans le fonctionnement du Parlement et la multiplication des dispositifs de reddition de compte (par exemple : site Web, rapports périodiques d’activités et résumés pour vulgarisation, émission radiophonique interactive pour partager des informations et répondre aux questions de la population, etc.) ;
e) Plus d’indépendance du Parlement par rapport au pouvoir exécutif pour mieux assurer le contrôle de ce dernier ;
f) Plus de collaboration avec les organes des Collectivités territoriales pour éviter les chevauchements et la confusion de rôle dans l’opinion des mandants ;
g) Adoption d’un agenda législatif plus en phase avec les problèmes de la population.
L’Observatoire Citoyen pour l’Institutionnalisation de la Démocratie (OCID), consortium de la société civile formé de l’Initiative de la Société Civile, du Centre Œcuménique de Droits Humains et de JURIMEDIA, renouvelle son engagement à observer les processus politiques, en particulier les élections, selon une approche scientifique et non partisane, et à travailler à la consolidation de la démocratie en Haïti.
« Une démocratie pérenne par la vigilance citoyenne »
Pour le Comité de Pilotage de l’OCID :
Sylvie BAJEUX
Directrice exécutive du Centre Œcuménique des Droits Humains (CEDH)
Abdonel DOUDOU
Directeur exécutif de JURIMÉDIA
Rosny DESROCHES
Directeur exécutif de l’Initiative de la Société Civile (ISC)
https://www.facebook.com/ocidhaiti/videos/258138491537627/