8 novembre 2018 Rezo Nodwes
Nous estimons que l’État haïtien ne va pas dans les mêmes perspectives que la nation haïtienne. La dialectique État-Nation se conçoit alors comme un projet mort né. Car, si la politique constitue les mécanismes de la gestion de la misère et de pouvoir la résoudre , en idée et en pratique, c’est le contraire qui se fait en Haiti
par Marc Donald Orphée
Jeudi 8 novembre 2018 ((rezonodwes.com))– Karl Marx publiait en 1847 son bouquin intitulé La misère de la philosophie. À travers ce bouquin, Il voulait élaborer, administrer une critique à La philosophie de la misère publié par Prudhon, un philosophe français. La critique de Karl Marx à propos du livre de Prudhon se veut être une disculpation intellectuelle de l’ordre politique bourgeois de son époque. À cet effet, l’auteur proposait une lecture intellectuellement plus efficace et socialement plus légitime de considérer les problèmes politiques qui lui étaient contemporains. Il s’agissait en l’occurrence de la dialectique.
Cette dialectique proposait théoriquement les deux préceptes que voici : d’une part, il convenait, selon Marx, de sortir de la philosophie comme moyen pour les savants et pour les politiques d’appréhender les défis posés par la question de l’ordre social. La philosophie était incapable , selon lui, de fournir la grille de lecture et les outils politiques viables pour résoudre le problème politique majeur qui était celui de la « transformation » de l’ordre social dont le moment était venu de dépasser la « formation » (cf. sa onzième thèse sur Feuerbach). D’autre part, pour s’acquitter de cette mission que la philosophie était incapable de résoudre, il fallait précisément considérer l’ensemble des rapports de force qui se tissaient entre les groupes sociaux, les antagonismes sociaux, les pouvoirs en place et les masses, à partir des diverses activités d’extraction et de distribution des biens.
Il s’agit là d’une confrontation intellectuelle basée sur des pensées contraires, sur des catégories conceptuelles contraires sur l’establishment politique. À partir de cette confrontation intellectuelle, notre intention est de nous livrer à un exercice beaucoup plus simple dont la vocation est d’analyser , de manière savante et suggestive, le dénuement haïtien en vertu de son ordre politique. Nous prenons la méthode de la critique de Karl Marx comme parti pris conceptuel . En Haïti, le peuple se fait diriger par un système politique ou un establishment politique restant immuable dans sa structure d’ensemble. Alors que force est de constater que ses problèmes restent tels quels quand ils ne sont pas détériorés. Or, la vraie mission de tout gouvernement ou de toute administration politique , selon John Locke, c’est de répondre aux différents besoins des populations. En ce sens, nous estimons que l’État haïtien ne va pas dans les mêmes perspectives que la nation haïtienne. La dialectique État-Nation se conçoit alors comme un projet mort né. Car, si la politique constitue les mécanismes de la gestion de la misère et de pouvoir la résoudre , en idée et en pratique, c’est le contraire qui se fait en Haiti.
La manière de faire la politique en Haiti est connue de tous : il n’y a jamais eu de la part des dirigeants et des professionnels de la politique des efforts conscients et partagés en vue de considérer la dimension sociale du bien être collectif dans l’action politique. Cette dernière est vouée à accumuler et distribuer les richesses au profit de la classe économique dominante. Ce que M.R Trouillot appelle » la sainte alliance ». La raison est que les élites dirigeantes se limitent à leur propre reproduction et de leur maintien au pouvoir tout en se livrant dans les pratiques de réappropriation qui leur sont propres .
Et pour faire perdurer cet ordre politique et idéologique et la forme politique qui en découle, en l’occurrence une démocratie électorale du sous-développement économique. La démocratie électorale du sous développement est le fait de croire que la démocratie se réduit à l’organisation des élections sans se pencher aux vrais problèmes auxquels les gens sont le souffre douleur. Il s’agit plutôt de créer et de redéfinir, à travers les élections, l’ordre politique bourgeois. Cet état de fait s’illustre dans l’historique de l’État haïtien et dans sa triste réalité institutionnelle. D’où la volonté manifeste des élites dirigeantes de maintenir le statu quo en liquidant le pluralisme politique à travers une logique de partage de gâteau afin d’éviter leur remise en cause dans la détérioration nationale. La grammaire profonde de pluralisme politique biaisé est de garantir l’ordre politique élitiste bourgeois.
Nous sommes donc très loin de La vocation de l’élite de Jean Price Mars. Jean Price Mars a élaboré un ensemble de vocations à matérialiser par les élites dirigeantes en vue de contribuer dans la transformation sociale haïtienne. Ces élites, au contraire, ne se montrent jamais capables de redéfinir un ordre politique qui ait une oreille attentive aux problèmes de la République. Nous ne parlons pas de l’élite économique, mais de toutes les élites haïtiennes qui sont réfractaires au changement d’Haïti.
Outre le livre évocateur de l’Oncle, Sauveur Pierre Étienne, avec une teneur scientifique et méthodologique plus soutenue, a visité aussi le rôle des élites dans les perspectives du changement social dans son livre intitulé : la République d’Haïti, Cuba et la République Dominicaine. État, économie et société. La réflexion de Sauveur Pierre Étienne est celle-ci : l’auteur a voulu comprendre pourquoi Haïti, Cuba, République Dominicaine sont issus du même processus de colonisation et de décolonisation sont arrivés à produire trois types d’États différents : l’État total non-socialisé pour le Cuba, l’État faible fonctionnel pour la République Dominicaine et l’État fragile pour Haïti.
Selon Sauveur Pierre Étienne, outre des répercussions de l’implantation de l’État Occidental dans les Caraïbes, le problème d’Haïti est un problème d’élites. L’auteur a énuméré dans son livre un ensemble d’événements qui menaçaient d’effondrer la République Dominicaine , mais les élites-notamment l’élite politique- se sont montrées à la hauteur en proposant la voie du redressement. En Haïti, On n’a jamais édifié une élite politique capable de propositions et d’orientations. Au contraire, les élites se font une pour perdurer l’ordre politique bourgeois qui empêche au pays de se redéfinir.
C’est ordre politique bourgois qu’il faut renverser et non les gouvernements qui le servent de filiale. Au lieu d’exiger le départ d’un président élu, il faut s’appessantir sur les ruines de la démocratie électorale du sous développement haïtien . Autrement dit, avec cette démocratie, on exigera la liquidation de tous les gouvernements haïtiens. Car, ils ne seront jamais dans la dimension de résoudre les problèmes avec la persistance de cet ordre politique bourgeois. Cet ordre n’est non seulement une entrave au projet national, mais aussi bien une façon élitiste et dynastique de penser la politique, d’en faire l’apprentissage, d’en transmettre et d’en pratiquer une conception exclusive dans le cadre d’une idéologie autoritaire de domination des masses par les élites dirigeantes.
James Marc Donald ORPHÉE