18 octobre 2018
Asphaltées de braves citoyens, les rues demandent des comptes du fonds Petrocaribe.
Moins de 24 heures après la protestation populaire à Port-au-Prince, le 17 octobre 2018, les différents secteurs qui ont appuyé le mot d’ordre de mobilisation générale pour exiger des comptes du fonds Petrocaribe n’ont pas tardé à faire leur inventaire de la journée. En ce sens, la classe politique et la société civile ont salué la participation populaire qu’elles qualifient de réveil citoyen tout en se prononçant favorablement à la tenue d’un vrai dialogue pour en finir avec cette crise qui a trop duré.
La démonstration des manifestants haïtiens du 17 octobre 2018 a été remarquable non seulement à Port-au-Prince où la participation populaire dépassait les attentes, mais aussi au niveau des villes de province, et ce, pour une cause unique: celle d’exiger la lumière sur la gestion du fonds Petrocaribe. Comme c’était le mot d’ordre de certains acteurs de la vie nationale et, suivant les dispositions prises par la Police nationale d’Haïti (PNH), les incidents regrettables ont été peu nombreux. Un bilan encensé par tous les secteurs de la société.
Les réactions post manifestation n’ont pas tardé. Dans la société civile comme au niveau de la classe politique, la note est positive. Le comportement affiché par la population à travers tout le territoire est salué tout comme les efforts consentis par les forces de l’ordre pour assurer la sécurité de tous durant cette journée qui s’annonçait angoissante. Selon l’un des avocats des plaignants s’étant porté partie civile dans le cadre du procès Petrocaribe, André Michel, les consignes de non-violence ont été respectées scrupuleusement tout en soutenant que la manifestation du point de vue participation est une réussite.
Des politiques comme Clarens Renois et Evens Paul disent voir dans cette démonstration populaire plus qu’une simple manifestation, mais plutôt une preuve prouvant que le peuple a atteint son degré de maturité politique. « C’est la plus grande mobilisation populaire de l’histoire du peuple haïtien », concède l’ancien chef de gouvernement avant d’inviter la nation au dialogue pour éviter le pays de sombrer dans le chaos. « Faisons de notre désaccord une opportunité de s’entendre mutuellement », a-t-il ajouté.
Un peu moins radicaux que la population qui exige le départ du président Jovenel Moïse du pouvoir, les politiques, de leur côté, proposent à ce que le chef de la nation entende raison. « C’est un deuxième avertissement de la population. À cet effet, Jovenel Moïse doit nécessairement envoyer le signal qu’il veut réellement que le jugement soit effectif. Il est temps pour lui de passer de la parole aux actes », a conseillé le coordonnateur général de l’OPL, Edgard Leblanc Fils. Une position partagée par le parti UNIR qui, via l’organe de son ancien candidat à la présidence, Clarens Renois, appelle le président à se montrer sage, modéré, capable d’adoucir les positions en vue d’éviter au pays le pire.
L’homme politique a par ailleurs appelé le chef de la nation à convoquer en urgence un conseil des ministres pour prendre les mesures nécessaires proportionnelles à la résistance populaire du 17 octobre mettant à nu la faiblesse de l’État. Selon le responsable de l’UNIR, il est d’or que le président passe outre la radicalisation. C’est à peu près la position du responsable de l’OPL qui invite le locataire du Palais national à rester à l’écoute de la population. Quant à André Michel, la manifestation du 17 octobre et les difficultés rencontrées par le cortège présidentiel sont, entre autres, les signes montrant que la population comprend que Jovenel Moïse est le principal obstacle à l’aboutissement du procès Petrocaribe.
Membre de l’aile dure de l’opposition, le secrétaire général de la plateforme Pitit Desalin, n’entend pas abandonner le mouvement. Selon lui, qui a salué le courage du peuple haïtien, une lettre est acheminée au président de la Chambre du commerce pour l’informer que la bourgeoisie haïtienne sera la seule responsable des troubles que va vivre le pays. L’ancien candidat à la présidence dénonce par ailleurs une frange du secteur privé qui selon lui tente de soutenir le chef de l’État au pouvoir.
Les organismes de droits humains ont aussi réagi par rapport à cette manifestation qui a vu défiler des milliers de manifestants dans les rues de Port-au-Prince. À cet effet, le co-directeur du collectif Défenseur plus, Antonal Mortimé, dit saluer la sortie spectaculaire de la population pour exiger des comptes. Selon lui la journée était une réussite. Le militant des droits humains a par ailleurs salué le dynamisme des agents de l’ordre qui ont fait de leur mieux pour assurer la sécurité.
De son côté, le coordonnateur du Réseau national des droits humains (RNDDH), Pierre Espérance, critique la déclaration du chef de l’État soutenant qu’il va tout faire pour écrouer les dilapidateurs de fonds publics. Selon le responsable de droits humains, les autorités n’ont tiré jusqu’ici aucune leçon des événements du mois juillet dernier. Dans la foulée, le responsable du BOHDH, Jacceus Joseph, dénonce des arrestations abusives enregistrées lors de cette manifestation. Et en vue de contraindre les autorités de libérer les prisonniers et de poursuivre la lutte, l’homme de loi appelle la population à decréter la permanence de la mobilisation.
Daniel Sévère