Une nouvelle année judiciaire entre inquiétudes et recommandations

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01 octobre 2018

Des membres de la Cour de cassation lors de l’ouverture des tribunaux le lundi 1er octobre 2018.

La nouvelle année judiciaire 2018-2019 vient tout juste de démarrer. Des acteurs du système montrent encore leur préoccupation concernant la situation pitoyable de la justice nationale qui n’arrive pas jusqu’ici à inspirer confiance. En ce sens, le Réseau national des droits humains (RNDDH) formule des recommandations pour rectifier le tir alors que l’Association des magistrats professionnels dénonce encore les manoeuvres de l’Exécutif qui veut faire main basse sur le pouvoir judiciaire.

Chaque année, le premier lundi du mois d’octobre, le pouvoir judiciaire procède à l’ouverture faste et solennelle des cours et tribunaux de la République qui fonctionnent du premier lundi d’octobre au dernier vendredi du mois de juillet. C’est une exigence constitutionnelle. Les grands dignitaires, notamment les représentants des deux autres pouvoirs ainsi que des organisations de la société civile, partagent toujours ce moment avec le pouvoir judiciaire.

C’est ainsi que le président de la République, Jovenel Moïse, dans son intervention, a invité au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ), dans le cadre du processus de réforme des institutions étatiques, à remplir son rôle pour une harmonisation institutionnelle au plus haut niveau de l’État. La justice, indique le chef de l’État, est faite pour les hommes et non les hommes pour la justice. En ce sens, le mandataire de la nation invite les hommes de loi à faire tout ce qui est possible pour permettre à la population d’avoir accès à une saine distribution de la justice, surtout dans le combat de la détention préventive prolongée et le problème de spoliation. Le président du CSPJ, Jules Cantave, dans son discours de circonstance, encourage tous les acteurs du système judiciaire à agir de telle sorte que les Droits humains soient toujours respectés dans les tribunaux en Haïti.

L’ambassadeur des États-Unis en Haïti, Michele J. Sison, qui, sur le compte officiel de l’Ambassade, estime que c’est un honneur pour lui d’assister à la cérémonie de lancement de l’année judiciaire haïtienne à la Cour de cassation. Selon l’ambassadeur, la participation d’éminents responsables haïtiens à cette cérémonie démontre leur attachement à un pouvoir judiciaire fort, indépendant, et au respect de l’État de droit.

L’ouverture de l’année judiciaire est aussi une occasion pour les acteurs de la société civile de dessiner un tableau sombre de la situation de l’appareil judiciaire haïtien. Les jugements émis à cet effet portent à croire que le chemin à parcourir par le pouvoir judiciaire en vue de se faire une nouvelle image demeure périlleux et exige un effort conjugué de la part de toutes les forces vives de la nation, en particulier, l’État haïtien.

Dans un rapport portant sur l’année antérieure, le Réseau national des droits humains (RNDDH) peint l’état de délabrement du système. Il a passé en revue toutes les activités de l’appareil judiciaire durant l’année écoulée en faisant un zoom sur les dossiers ayant fait l’actualité au cours de l’année judiciaire 2017-2018. Le réseau fait allusion aux scandales ayant affecté le système dans des juridictions bien particuliers dont Aquin, la Gonâve et Croix-des- Bouquets. À ces dossiers, s’ajoute l’affaire de Kaliko Beach qui a provoqué la mise à pied d’environ quatre substituts commissaires de gouvernement.

D’après les responsables de cette structure des droits de l’homme, l’appareil judiciaire haïtien nage dans des eaux troubles. Une situation qui fait inquiéter les membres de l’association des magistrats professionnels qui critiquent énergiquement la décision du chef de l’État qui s’est prononcé seulement sur 36 des dossiers qui lui ont été soumis par le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ).

Selon le président de l’Association nationale des magistrats haïtiens (ANMH), Wando Saint-Villier, cette attitude traduit clairement la volonté du chef de l’État de mettre sous une soucoupe réglée le système judiciaire du pays. D’après le juge Saint-Villier, celui qui a la loyale attribution d’assurer la bonne marche des institutions vient de prouver une fois de plus qu’il n’a pas la volonté de renforcer le pouvoir judiciaire. Dénonçant par ailleurs les manquements du président face à ces promesses pour le renouvellement du mandat, et la nomination des juges dans le système. Comme l’avait sollicité le CSPJ, le juge appelle les magistrats, le CSPJ ainsi que les associations de magistrats à agir en synergie afin de contraindre l’Exécutif à assumer sa responsabilité.

Si l’association se contente de plaindre sur la situation du système, le RNDDH au contraire, présente aux autorités établies toute une série de recommandations afin de revitaliser l’appareil judiciaire. En ce sens, l’organisme de promotion des droits humains recommande à l’État haïtien l’évaluation et la réparation des tribunaux de paix en état de délabrement. Les dirigeants de cette structure disent souhaiter que les responsables du pouvoir judiciaire prennent les mesures d’organiser à longueur de l’année judiciaire des audiences criminelles sans assistance de jury, tout en s’engageant à réduire de façon appréciable le taux de personnes retenues en situation de détention préventive prolongée.

Le RNDDH, dit par ailleurs souhaiter que l’Exécutif prenne les dispositions pour favoriser le bon fonctionnement de l’inspection judiciaire tout en fournissant au CSPJ les moyens adéquats pour bien remplir sa mission. Plus loin, le réseau montre qu’il nourrit l’ambition de voir le pouvoir exécutif assurer le suivi des différents arrêts de la Cour de cassation pris au cours de l’année judiciaire écoulée ainsi que les recommandations du CSPJ sur les nominations, renouvellement de mandats, les transferts et la promotion des magistrats par l’Exécutif dans un délai fixe. Le RNDDH a enfin recommandé la nomination de juges dans les juridictions où les tribunaux ne fonctionnent qu’avec deux juges.

Evens RÉGIS & Daniel Sévère