23 août 2018 Rezo Nodwes
par Woodkend Eugène
Jeudi 23 août 2018 ((rezonodwes.com))– Je veux introduire ce petit texte par une critique: ici en Haïti, depuis quelque temps, n’importe qui peut se targuer d’être artiste. Il lui suffit d’être à la base d’un “hit” quelconque, et le tour est joué: un “artiste” est né. Voilà comment des amuseurs publics comme “Obama (chanteur haïtien)”, “krèk koko” ou “polky” seront traités d’artistes au même titre qu’un Frank Étienne, un Erol Josué, un Kevens Prévaris, une Émeline Michel, un Jean Richard Hérard et tant d’autres.
Pour le reste, tous les musiciens et chanteurs de nos groupes musicaux – toutes tendances confondues – sont appelés littéralement et indistinctement “artistes”. Tous nos comédiens et DJs rabòday aussi. Ainsi se définit l’artiste ici. C’est d’abord une question de popularité et de buzz, même en cas de médiocrité la plus abjecte. Quant à l’art, la maîtrise de son art et l’originalité créative, on s’en fiche! Parenthèse critique fermée.
Venons-en au sujet de ce texte: les relations qu’entretiennent certains “artistes”, ou plutôt certains musiciens avec la politique; et le rôle qu’ils jouent dans la promotion ou la stabilisation des régimes politiques en Haïti, au cours de l’histoire contemporaine nationale.
Du régime des Duvalier à aujourd’hui, la perception autour des musiciens et leur rôle dans la politique ont beaucoup évolué. Avant 1986, le rôle des musiciens dans la politique parût s’être limité à l’amusement des autorités politiques et militaires au cours des bal et des fêtes privées. Généralement, ils vouèrent allégeance aux autorités et dédièrent des chansons à leur gloire. Ce fût la seule condition pour continuer à faire de la musique sans courir le risque de l’exil ou du silence éternel.
A partir de 1986-90 et jusqu’à 2010, avec la chute du régime dictatorial et la libération de la parole, la musique a commencé à se mettre ouvertement au service des revendications sociales et populaires. C’était le pic de l’ère de la musique engagée et dénonciatrice. Le courant “rasin” et le rap engagé à la “Master’s” ont dominé la scène musicale. Cependant, conscients de cette force de frappe des musiciens, les autorités politiques à l’époque ont vite fait de récupérer ce mouvement musical revendicatif pour le mettre au service de leurs actions politiques.
Ainsi, le président Aristide aura-t-il son lot de chanteurs et musiciens qui font passer ses messages politiques à travers leurs musiques. Le président Préval a quasiment fait pareil, avec son mouvement “artistes pour la paix”. Donc, depuis cette époque, les musiciens sont utilisés dans la bataille politique. Ils ont leur rentrée au Palais national. Ils supportent et accompagnent des candidats en période électorale, en étant présents à leur côté ou en produisant des spots de campagne.
A partir de 2011, avec l’élection du musicien Sweet Micky à la présidence, les musiciens ont pris conscience d’une chose: ici, la popularité est la clé du pouvoir. Ainsi, depuis le mandat du Président Marthely et tout au cours du règne des “tèt kale”, celui qui sait bien observer fera deux constats majeurs:
1 ) Il y a une affluence des musiciens aux élections depuis les cinq dernières années. Même sans préparation, ils veulent tous se faire élire et vivre le “rêve sweet mickyen”.
2 ) CERTAINS de ces musiciens et “artistes”, bénéficiant de gros contrats de publicité pour le compte de “l’Etat”, ne font pas de la propagande à proprement parler pour le régime. Mais ils font quelque chose qui est encore plus dangereux: la DIVERSION POLITIQUE.
A chaque fois que le régime est menacé et que la population entend se soulever, ces musiciens et DJs ont pour mission de détourner l’attention du peuple des vrais débats, en occupant l’espace public avec d’autres contenus futiles et distrayants. Leur rôle consiste à porter le Peuple à débattre de “timamoun”, “ChawaPete”, “Lave latchaw” ou des hashtag comme “Ayiti pam lan diferan”, pendant que leurs boss politiques “malgouvernent” et pillent le pays.
S’est-on déjà demandé pourquoi, en plein débat sur les privilèges des hauts fonctionnaires, un push-up challenge contre la drogue sort de nulle part et sans raison apparente?
Pourquoi en plein débat sur la hausse du prix des produits pétroliers, un “atispolky” est créé de toutes pièces, promu et défendu par ci et par là? Pourquoi une cargaison d’armes automatiques est saisie et qu’un comédien du système s’empresse de faire un sketch pour banaliser le sujet? Justement, il y a projet de communication politique qui tend à utiliser certains “artistes” pour banaliser, tourner en dérision ou contourner les débats de fond.
Ainsi, le système se maintient.
Alors, ouvrez les yeux et arrêtez de demander à des adveraires politiques et idéologiques de supporter le challenge petro caribe. Ils ne le feront pas.
Woodkend Eugène, 21 août 2018