Non, le dossier Manzanares n’est pas enterré. Le Miami Herald https://www.miamiherald.com/news/nation-world/world/americas/haiti/article215793990.html a rapporté qu’il y a une enquête fédérale en cours à côté d’une enquête administrative et sénatoriale sur la base des dénonciations de deux lanceurs d’alerte, deux agents du bureau de la DEA en Haïti qui racontent comment des policiers haïtiens, l’un affecté au Palais national, un juge ont emporté de la drogue sur le port du Terminal de Varreux en avril 2015 ; dénoncé la connivence, l’octroi de pots-de-vin d’un ex-responsable de la BLTS à un superviseur de la DEA. Les projecteurs sont à nouveau braqués sur la justice haïtienne qui n’a qu’un seul suspect derrière les barreaux dans le cadre de ce dossier.
Publié le 2018-08-17 | Le Nouvelliste
National –
Le bureau de la DEA en Haïti est sur la sellette. Il fait l’objet d’une enquête du ministère de la Justice des États-Unis après les dénonciations de lanceurs d’alerte à cause de «l’inefficience» de son action alors qu’une agence indépendante du gouvernement, après deux ans d’analyse, a découvert des pratiques susceptibles d’être «substantiellement inappropriées», a rapporté une enquête du Miami Herald publié le vendredi 17 août 2018. Le bureau de la DEA en Haïti est sous le coup d’autres enquêtes. Celle de la commission supervisant la réforme gouvernementale du puissant sénateur de la Floride Marco Rubio qualifiant les allégations des lanceurs d’alerte de «substantielles» et, d’un autre côté, l’enquête du bureau du procureur de Miami sur le Manzanares, navire battant pavillon panaméen ayant transporté de la drogue en Haïti en 2015, a indiqué l’article du Miami Herald rappelant que la cour d’appel de Port-au-Prince a ordonné une nouvelle instruction dans le cadre de ce dossier.
Les lanceurs d’alerte, deux agents du bureau de la DEA en Haïti, ont toute une liste d’allégations. Ils ont évoqué la défaillance de la BLTS dans la sécurité des ports. Ils ont indiqué que «des milliers de kilos de cocaïne et d’autres drogues ont transité vers les États-Unis pendant des années sans être détectés. Ces lanceurs d’alerte, selon le Miami Herald, ont accusé des superviseurs du bureau d’Haïti de mauvais comportement et même de connivence avec l’ancien chef de la Brigade de lutte contre le trafic des stupéfiants (BLTS)». Ces accusations, a poursuivi l’enquête des journalistes Jacqueline Charles et Jay Weaver du Miami Herald, suggèrent que les États-Unis «ont gaspillé l’argent du contribuable américain» parce qu’il y a si peu à montrer en termes de résultats. Les États-Unis paient pour les opérations de la DEA et ont déjà investi plus de 250 millions de dollars américains dans la PNH, 15 000 membres, ces huit dernières années. Environ 18 millions de dollars sont allés dans la formation et l’acquisition d’équipements pour les 300 agents de la BLTS mais rien pour la sécurité du port de Port-au-Prince.
Ces deux lanceurs d’alerte cités par le Miami Herald, disent voir dans l’incident du port de Varreux où le bateau Manzanares a accosté avec de la drogue à son bord, comme une «opportunité ratée» et une part du «grand échec des États-Unis dans la guerre contre la drogue en Haïti». « Le navire était la démonstration de la corruption de la BLTS, de l’apathie du gouvernement américain, exploitées par les trafiquants de drogue», a confié l’un des lanceurs d’alerte. Interrogé par le Miami Herald, A. J Callazo, récemment nommé chef de la DEA pour la Caraïbe, a indiqué que les 8 membres du bureau de la DEA en Haïti ont une collaboration effective avec la BLTS pour ralentir le flux de cocaïne et autres drogues vers les États-Unis. «Nous sommes là pour lutter contre le trafic de drogue. Nous ne sommes pas là à rester assis sans rien faire contre le trafic de drogue», a poursuivi A.J Collazo, qui a imputé la responsabilité du cas Manzanares à Haïti, à Haïti seulement. Cependant, sur la base de preuves rassemblées par les deux lanceurs d’alerte que cette cargaison était destinée aux Etats-Unis, ont souhaité que le bureau de la DEA fasse plus. Ils ont indiqué avoir subi des représailles de la part de leurs superviseurs, a rapporté le Miami Herald qui souligne, citant une porte-parole des gardes-côtes américaines, qu’une «enquête fédérale est en cours dans le cadre du dossier Manzanares».
Le Miami Herald, dans son enquête, a indiqué que le Manzanares, provenant de Buenaventure (Colombie) avec 371 pieds, 13 membres d’équipage, avant de jeter l’ancre le 5 avril 2015 au terminal Varreux, avait passé trois jours dans la baie de Port-au-Prince, selon un rapport de la PNH. Plus de 24 heures se sont écoulées avant que la douane ne soit arrivée pour donner l’autorisation de débarquement. Un débarquement routinier a débuté jusqu’à ce que l’on y découvre de la cocaïne et de l’héroïne. Des informations qu’il y avait de la drogue à bord du navire se sont répandues sur le quai. Des témoins, plus tard, ont confié à la PNH avoir vu des sacs de drogue sortir dans des véhicules, spécialement une Toyota Land Cruiser aux vitres teintées conduire selon des témoins, par un policier affecté au Palais national. Les témoins ont vu aussi une Nissan X-Terra conduite par un policier d’une unité spécialisée accompagné d’un autre policier. «L’un des lanceurs d’alerte de la DEA a indiqué par ailleurs qu’une partie de la drogue a été volée par un juge», selon le Miami Herald. «Vous aviez tous ces gens qui s’empressaient de venir sur place pour faire leur plein», a indiqué l’autre lanceur d’alerte. Pendant deux heures, aucun policier haïtien n’était sur place. Il était 5:30 p.m. quand la BLTS, alertée par le manager du port Varreux, est arrivée sur place et a prévenu la DEA, selon des officiels haïtiens. Pendant plusieurs jours, les policiers haïtiens étaient incapables de trouver la drogue malgré la présence de deux chiens policiers renifleurs K9. «C’était juste une bande de gars qui étaient là sans trop savoir quoi faire», a expliqué cet agent de la DEA, lanceur d’alerte, qui était au port le jour après que la bataille avait éclaté. Il a noté que les policiers haïtiens de la BLTS ne savaient même pas comment monter à bord du navire, encore moins comment le perquisitionner. Le rapport de la BLTS a indiqué qu’une «quantité de drogue a été emportée durant les premières heures» du débarquement du Manzanares dans l’après-midi du 6 avril 2015. Une source familière au dossier, citée par le Miami Herald, a indiqué qu’une quantité de drogue avait été emportée la nuit, avant que le navire n’ait jeté l’ancre à quai.
«La DEA et les investigateurs haïtiens, sur la base de renseignements obtenus et de la taille du bateau, croient que le Manzanares avait à son bord quelque 800 kilos de cocaïne et 300 kilos d’héroïne dans un compartiment secret», selon le Miami Herald. Personne n’a été tenu responsable pour la drogue emportée dans ce navire saisi par le gouvernement haïtien. Cependant, a écrit le Miami Herald, les agents de la DEA lanceurs d’alerte ont indiqué qu’ils suspectent maintenant l’ex-responsable de la BLTS, Joris Mergélus, d’être impliqué. Ces lanceurs d’alerte accusent l’ancien responsable de la BLTS d’avoir reçu des pots-de-vin pour faire traîner son enquête. Ils croient aussi que Mergélus a versé des ristournes dans le passé à un superviseur de la DEA provenant de fonds destinés à des sources confidentielles.
Joris Mergélus, selon les sources du Miami Herald, a échoué à deux tests au détecteur de mensonge de la DEA concernant ses relations avec des trafiquants de drogue. Joris Mergélus a fermement démenti avoir des liens avec des trafiquants de drogue. En interview avec le Miami Herald, il a indiqué qu’il est «vraiment surpris» de cette litanie d’accusations et croit être le bouc émissaire de ce qui est en réalité un conflit interne d’agents de la DEA. Joris Mergélus a contesté avoir échoué à deux reprises aux tests du polygraphe. «Si je ne n’avais pas passé ces tests, pourquoi m’ont-ils accepté comme responsable de la BLTS ?», a indiqué Joris Mergélus qui a rejoint la BLTS en 1997 avant de diriger la brigade en 2011. «J’ai fait toutes les grandes arrestations pour trafic de drogue en Haïti», a indiqué Joris Mergélus au Miami Herald. Ce dernier a été remplacé en 2017 par le nouveau chef de la police, sur l’insistance du nouveau chef du bureau de la DEA en Haïti, a écrit le Miami Herald, qui indique n’avoir pas pu entrer en contact avec Normil Rameau, responsable de la DCPJ qui supervise le travail du BLTS. Normil Rameau a été transféré à Washington par le Premier ministre démissionnaire Jack Guy Lafontant le 1er août 2018. Pour les lanceurs d’alerte, le dossier Manzanares est juste un symptôme d’un problème concernant Haïti où transite un grand volume de drogues à travers les ports maritimes. Les agents de la BLTS ne savent pas comment fouiller correctement un navire contenant de la drogue. Ces lanceurs d’alerte «notent que la police a un bureau tout près, au port de l’État à Port-au-Prince mais pas au terminal de Varreux. Ces lanceurs d’alerte cités par le Miami Herald «croient que le terminal de Varreux est devenu un hub, une plateforme pour le transport de la drogue entre la Colombie et les États-Unis». Le journal Miami Herald a en outre indiqué que des caméras installées n’étaient pas allumées au moment des faits.
Me Joël Hirschhorn, l’avocat de la famille Mevs, propriétaire du port Varreux, a indiqué qu’il n’y a pas eu de relâchement dans la sécurité du port. La famille Mevs a même payé pour construire un bâtiment pour loger les agents de la BLTS au port en 2017, a indiqué l’avocat, cité par le Miami Herald, qui souligne que c’est deux ans après l’incident avec le navire Manzanares que cela a été fait. Les allégations que la sécurité du port avait des faiblesses et que des substances illégales circulaient librement sont fausses eu égard aux archives de la sécurité, a ajouté l’avocat, soulignant que la sécurité au port de Varreux est parmi les plus «serrées» d’Haïti.
L’enquête du Miami Herald a indiqué que le dossier Manzanares semble avoir eu un coup d’arrêt. Un juge d’instruction en charge du dossier a libéré des suspects initiaux, incluant 13 membres d’équipage du navire. En 2016, un juge avait inculpé de trafic de drogue les hommes d’affaires Marc Antoine Acra et Sebastien François Xavier Acra, les frères qui possèdent la compagnie Nabatco, importateurs du sucre de la Colombie. Le foreman du port, Fedner «Surpris» Dolicar, et Grégory Georges ont été également inculpés. Marc Antoine Acra a confié à Miami Herald qu’il est «innocent» et a rejeté les accusations en disant que les enquêteurs ne poursuivent pas les vrais trafiquants. L’homme d’affaires très connu a été désigné ambassadeur de bonne volonté par le président Martelly.
En avril dernier, trois juges de la cour d’appel de Port-au-Prince ont assigné un nouveau juge au dossier. La cour a ordonné la réouverture de l’instruction et permet que soient interrogés le capitaine et les 12 membres d’équipage du Manzanares dont la justice avait autorisé la libération et le retour dans leurs pays respectifs. La cour veut aussi que des agents de la DEA témoignent dans le cadre de ce dossier. Mais tout cela n’est pas encore arrivé, lit-on dans cette longue enquête qui met le bureau Haïti de la DEA sur la sellette, au point que le sénateur Marco Rubio, responsable aussi de la sous-commission des relations extérieures du Sénat, s’inquiète qu’il y a «une quantité substantielle» de cocaïne de trafiquants sud-américains passe impunément par Haïti pour arriver en Floride. «Les trafiquants cherchent toujours de nouvelles routes. Et si le mot est passé que des routes sont établies parce que des individus clés sont compromis, cela va attirer plus de gens à s’engouffrer dans cette route», a souligné le sénateur Marco Rubio, cité par le Miami Herald.
Haïti est sur la liste noire des pays producteurs ou de transit dont les autorités ne font pas assez dans la lutte contre le trafic de drogue. C’est l’une des rares, si ce n’est l’unique fois, depuis des décennies, que «l’inefficience» de l’action de la DEA et de sa collaboration avec la police en la matière est l’objet de tant d’attention de la part de la justice et du gouvernement américains.
Roberson Alphonse
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