7 août 2018 Rezo Nodwes
par Emile Ludwill ROLL
Mardi 7 août 2018 ((rezonodwes.com))– Cela fait déjà plusieurs années depuis que les taxis motos s’imposent comme mode de transport assez important dans la circulation à Cap-Haïtien.
Selon des écrits de Godard Xavier et de Agossou Noukpo cités dans un article de Joseph Keutcheu (2015) ce phénomène s’est profondément incrusté dans le développement des villes du Sud au point d’y être quasi incontournable. Et tout cela a pu être possible parce que dans les pays du sud, les réseaux routiers des villes sont peu développés ou défaillants, alors le taxi-moto offre un avantage parce qu’il permet d’accéder à des zones non goudronnées ou inondées, ensuite il permet de désenclaver les zones mal desservies par les modes de transport classiques (Marchais, 2009). Mais il faut aussi dire que cela s’accompagne d’une véritable mutation dans la structure socio-économique de la ville et d’un sérieux désordre urbain.
A Cap-Haïtien il y a différents styles de taxis motos. Il y a les tricycles qui fonctionnent comme les tap-taps puis il y a les motos à deux roues. Cette dernière catégorie se subdivise en deux : il y a les taxis motos traditionnels de 4 ressorts de suspension et il y a les motos de deux ressorts de suspension parmi lesquels se trouvent les Chawa Pete qui subissent de grandes modifications pour attirer l’attention des jeunes. C’est ce dernier style de taxi moto qui défraie la chronique dans la ville qui nous intéresse dans ce texte. Comment ce phénomène a-t-il évolué jusqu’à se forger une mauvaise réputation à Cap-Haïtien? Dans la suite de ce travail nous allons faire une brève description des motos utilisées, après cela nous aborderons l’évolution du phénomène dans la circulation, puis nous parlerons de leur fonctionnement et dresser un profil des chauffeurs. Ensuite nous verrons pourquoi ils sont si convoités et au final pourquoi ils sont si dangereux.
Description de ce style de taxi moto
Ces motos qui sont en grande majorité de marque Gato sont importées de la République Dominicaine. La moto a un cadre d’une minceur bien peaufinée qui fait jaillir sa beauté et fait d’elle un véhicule qui attire les yeux et l’esprit. Son guidon est parfois plus petit que les autres vélomoteurs. Ses jantes en aluminium sont le plus souvent colorées de la couleur du véhicule ou d’une autre couleur qui se marie avec celle du cadre. Ce sont des véhicules qui sont toujours propres et le plus souvent à l’état neuf. Ils ont deux ressorts de suspension et un fer d’environ 25 cm qui allonge la selle biplace . Ce fer est parfois surélevé jusqu’à 15 centimètres afin que la personne assise en arrière puisse se trouver beaucoup plus haut que le chauffeur. Les passagers disent que cela procure un plaisir qui vaut la peine d’être vécu. Ce véhicule a un moteur 200 cc, ce qui stipule qu’il est léger et rapide. Ce style de taxi moto est tout simplement admirable.
Apparition et perpétuation du phénomène Chawa Pete dans la circulation
Après quelques questions posées à plusieurs chauffeurs de Chawa Pete, on a pu comprendre que ces taxis motos ont fait leurs apparitions entre 2016 et 2017. Avec l’augmentation des prix des motos de marque Haojin aux environs de 60 mille gourdes le plus petit et 75 mille le plus grand, les propriétaires ont cherché des alternatives et sont tombés sur ces motos qui sont moins chères à cause de leur provenance. Le nom provient du rabòday qu’ils écoutent à tout moment.
L’augmentation du nombre est du avant tout à quelques autres chauffeurs qui ont connu un grand succès avec cela et n’ont eu aucune mise en garde des autorités concernées. Certains vont jusqu’à dire que c’était une idée de génie car elle permet de doper les recettes surtout en période de festivité et lorsqu’il y a l’école. Ce phénomène malgré le danger qu’il représente continue à se perpétuer à cause de l’absence d’une politique de transport en commun répondant au besoin de la population et une gestion maximale de la circulation. En plus de cela le vélomoteur taxi représente une véritable alternative au chômage et à la misère qui sévissent dans la ville du Cap-Haïtien où certaines familles vivent avec 2000 gourdes par mois (Garrigue & al, 2010) .
Fonctionnement de ce type de taxi moto et profils des chauffeurs de Chawa
Le taxi moto Chawa Pete fonctionne de plusieurs manières. Dans un premier temps on peut trouver certains chauffeurs qui sont sous contrats. Ils doivent fournir une somme de 60 dollars par jour pendant environ 8 à 12 mois . Lorsque la date arrive à échéance, ils deviennent alors propriétaires. Dans un deuxième temps on peut trouver des chauffeurs propriétaires qui investissent les rues pour pouvoir trouver de quoi se mettre dans la poche. Ces motos sont pilotées en grande partie par des jeunes qui ont entre 20 et 30 ans. Difficile de trouver une personne au-dessus de cette tranche d’âge conduisant un chawa car ce dernier reflète la fougue et la bêtise de la jeunesse. La majorité de ces véhicules n’ont pas d’assurance ni de plaque d’immatriculation. Les chauffeurs n’ont pas de permis et ne rapportent rien aux caisses de l’Etat sauf bien entendu lorsqu’ils sont sanctionnés par la police et que les propriétaires doivent payer la contravention. Beaucoup d’entre eux ne sont pas déclarés et d’ailleurs il y en a une grande quantité qui provient directement des contrebandiers de la frontière Nord-Est de la république.
La convoitise de ces taxis motos
Ils font état d’une très grande convoitise à travers les rues du Cap-Haïtien en utilisant comme guet-à-pens les musiques de rabòday et du rap qui sont le nouvel opium de la jeunesse. En les questionnant sur le choix de ces musiques, ils répondent qu’il faut savoir faire du business, ce qui signifie qu’il faut jumeler le taxi moto avec la tendance du moment. C’est à dire profiter au maximum de la faiblesse d’une grande majorité de la population pour la débauche et le risque. En plus de cela les adolescents et les jeunes ont tendance à préférer les chawa parce qu’ils sont pilotés par des jeunes qui partagent leur style et leur mentalité. Ils disent qu’ils peuvent dialoguer avec eux sans aucun souci car ils parlent et comprennent le même langage. Le prix du parcours sur ces taxis motos n’est pas quelque chose de fixe, cela varie en fonction de la distance, de l’heure, de la personne et aussi en fonction du moment.
Pourquoi le Chawa Pete est-il un phénomène dangereux pour la ville
Pilotés par des jeunes qui n’ont aucun sens de responsabilité, ces taxis motos sont toujours très actifs. Avec du rabòday et une vitesse qui dépasse de loin la limite qu’on pourrait accepter, ce mode de transport cause de grands dommages. Il y a très souvent des pieds cassés, des bras cassés et des blessures très graves lorsque la mort ne vient pas. Parfois on aurait même pu croire qu’on se retrouve dans un film d’horreur. Ces motos sont dangereuses et ne respectent aucun principe de la circulation. Sans se soucier de leurs vies ou de leurs futurs, les chauffeurs prennent toujours plaisir à battre leurs propres records de vitesse. C’est comme s’ils étaient en courses avec tous les véhicules de la ville.
Ces jeunes sont fougueux, alcooliques pour la plupart et sans grande expérience ni compréhension de la vie. L’un d’eux a même avoué qu’il y a des pauses pour prendre un grog et qu’il ne conduit pas pour l’hôpital mais plutôt pour la morgue. Le pire dans tout ça c’est qu’ils entraînent le plus souvent d’autres victimes avec eux lors des accidents. Ils ne respectent pas les trottoirs, dépassent à gauche et droite puis passent à travers le moindre espace qui se présente entre deux voitures. D’ailleurs c’est la raison pour laquelle ils n’utilisent pas de rétroviseur. Ils disent que cela leur sert de contrainte. Les accidents de ces taximans sont devenus tellement courants que plus personne ne s’en inquiète vraiment. En fonction de notre enquête, sur une échelle de 10 cas d’accidents reçus à l’hôpital Justinien il y a au moins 7 qui proviennent de ces vélomoteurs taxis concluent plusieurs infirmières.
Conclusion
Au final on peut comprendre que le phénomène de taxi moto Chawa Pete cause des dégâts irréparables dans la vie de beaucoup de personnes dans la ville à cause de leur manque de discipline et leur manque de connaissance des principes de la route. Mais cela est le résultat d’un laxisme au niveau de l’application des réglementations de la circulation et de l’absence d’une politique d’intégration de la jeunesse qui s’est tournée vers tout ce qu’il y a de dangereux et de banale dans la société.
Emile Ludwill ROLL, certifié en Gestion de Projet par la BID, étudiant en fin de cycle en Aménagement du Territoire et Environnement au Campus Henry Christophe de Limonade et étudiant en deuxième année en Droit.
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