L’ex-président Henri Namphy s’est éteint, emporté par un cancer du poumon. Son héritage divise. Profondément.
Publié le 2018-06-26 | Le Nouvelliste
National –
Henri Namphy, 85 ans, est mort, en République dominicaine, mardi 26 juin 2018. Président d’Haïti à deux reprises, le lieutenant-général Henry Namphy est né le 2 novembre 1932 au Cap-Haïtien. Henri Namphy, chef d’état-major des Forces Armées d’Haïti (FAD’H), avait assumé la charge de président d’Haïti à la chute de la dictature des Duvalier le 7 février 1986. Il était au pouvoir lors du carnage devant le fort Dimanche le 26 avril 1986 et pendant l’élaboration de la Constitution de 1987. Le président et général en chef des FAD’H Henri Namphy avait la charge d’organiser les élections du 29 novembre 1987 noyées dans le sang à la ruelle Vaillant. C’est sous son régime qu’ont été organisées les élections de janvier 1988 boudées par une large portion de la classe politique et par la population. Lesly Manigat est sortie de ces joutes contestées, une tache indélébile qu’il a porté jusqu’à sa mort et bien au-delà. Mis à pied par l’armée, Henri Namphy est revenu à la charge en renversant Lesly Manigat. Henri Namphy, chantre, dans le discours tout au moins de la « bamboche démocratique », a estimé que son coup d’Etat était une sorte de correction. A la pointe du fusil.
En ces temps tumultueux, l’armée, sous Henri Namphy, a fait des intrusions outrancières dans la politique. Pour beaucoup, l’institution avait entamé la dernière ligne droite sur le sentier de son implosion en 1994, trois ans après le coup d’Etat contre un président élu, Jean-Bertrand Aristide, le 30 septembre 1991. Ce sont des hommes en kaki comme lui, le général Prosper Avril, le sergent Joseph Hébreux qui ont déposé Henry Namphy du pouvoir un dimanche 17 septembre 1988 après un bain de foule à « Lakou Bréa », à Martissant où des slogans comme « Namphy kale dada w » étaient scandés à la gloire du généralissime au pied d’argile. Déposé sans résistance, Henri Namphy, est parti en exil tout près, chez les voisins dominicains. Il a vécu tranquillement son exil. Sans faire d’histoire. Il avait décliné, récemment, l’invitation à prendre part à la cérémonie de prestation de serment du président Jovenel Moïse. Très discret, les dernières photos publiques de Henri Namphy sont celles prises avec le président Jovenel Moïse lors d’une visite en République dominicaine. Entre-temps, la mort de l’ancien homme fort d’Haïti a suscité plusieurs réactions. Il y a ceux qui le tancent et ceux qui mettent en avant les bons traits de l’homme emporté par la mort .
Himmler Rébu : Namphy, un homme non préparé à prendre en main le destin des FAD’H et de la nation
« Le lieutenant général Henri Namphy est l’un des officiers à avoir survécu au régime du docteur François Duvalier. Ces survivants l’ont été, comme je l’ai analysé dans mon livre « L’Armée dans l’œil du cyclone », parce que collaborationnistes ou supporters ou nihilistes. Je ne peux placer avec précision le Général Namphy dans l’une ou l’autre de ces catégories. Toujours n’est-il que le pouvoir a échu, à la chute du Président Jean-Claude Duvalier à des hommes qui n’étaient pas suffisamment préparés à prendre en main le destin de l’Armée voire celui de la Nation. La gestion de l’après Duvalier a enfanté les dérives dont la Nation paye aujourd’hui les conséquences. Le Général Namphy est parti…que son âme reposé en paix », a confié au journal le colonel Himmler Rébu.
Arnold Antonin : Namphy a saboté les élections du 29 novembre 1987
« Henri Namphy est l’un de ces personnages courants chez nous avec ce don de rater l’occasion d’entrer dans l’Histoire par la grande porte. Il avait tout en main pour amorcer la transition démocratique avec les élections de novembre 1987. Il a préféré le sabotage des élections avec le massacre du 29 novembre. Après il a cédé à la tentation de se saisir de la présidence comme un vulgaire général putschiste des années 70 avec le renversement de Manigat », a confié Arnold Antonin, cinéaste, homme de gauche, exilé pendant la dictature des Duvalier. « En faisant le film sur Gourgue, je suis allé à St-Domingue avec l’intention de l’interviewer. Il m’a dit au téléphone qu’il ne parlerait jamais de ces questions-là avec moi. Il a emporté dans la tombe beaucoup de secrets sur des pages sombres de notre histoire alors qu’il avait encore là l’opportunité de faire un suprême effort pour nous livrer sa vérité et son témoignage de protagoniste. Paix à son âme. Il reste Regala », a balancé sans langue de bois le cinéaste Arnold Antonin.
Aly Acacia dans un inventaire cinglant, sans concession des années Namphy au pouvoir
« Il faut vraiment être malchanceux comme peuple pour hériter, après 29 ans de dictature, d’un général dont les seuls combats ont été gagnés contre le contenu de bouteilles de whisky. Un toxicomane pour nous mener vers la démocratie. Et on s’étonne que le pays titube.
L’histoire jugera cet homme ainsi que les autres chefs de l’armée pour avoir détourné le pays, après 29 ans de dictature, vers le chemin de l’injustice et de l’impunité.
-On retiendra le décret du 18 juin 86 considérant comme prescrits les délits et crimes entre 1957 et 1986. Ce fut la consécration de l’impunité…
-On retiendra la fuite avec complicité des militaires de la junte, des tortionnaires sanguinaires Albert Pierre (Ti Boulé) vers le Brésil et de Luc Désir qui fut empêché de justesse.
-On n’a pas le droit d’oublier le massacre du 26 avril 86 des 8 manifestants pacifiques marchant à la mémoire des disparus de fort Dimanche, haut lieu d’assassinat et de tortures des Duvalier et des makouts.
-Comment passer sous silence le massacre de la ruelle Vaillant, lors des élections du 29 novembre 1987, pour barrer la route à Gérard Gourgue ?
-Juillet 1987, le massacre de Jean Rabel organisé par les grands dons avec la complicité des militaires.
-1987, c’était l’apparition des *Zenglendos*, ces pilleurs et voleurs en vert olive… Un zenglendo célèbre perdit la vie, tué par une brigade de vigilance; ce dernier, un militaire (chauffeur personnel du général Namphy), aurait été surpris en flagrant délit.
-Duvalier nous a foutu dans le trou, Namphy et ses acolytes nous y ont enfoncé. L’amorce de cette transition démocratique avec ces individus sans vision étatique et sans formation de gestion nous a conduit vers ce gouffre abyssal et infernal où nous nous retrouvons 32 ans plus tard.
-La bamboche démocratique de Namphy n’était autre que de la flibuste, la négoce interlope et toutes sortes de trafics… profitant à sa clique.
Apprenons de nos erreurs, Haïtiens; ne vous laissez plus berner », a écrit Aly Acacia sur sa page Facebook.
Dr Rony Gilot: Namphy , « Chouchou », un « joyeux drille », un « militaire qui n’était pas méchant »
« Henri Namphy est un militaire dans toute l’acception du terme. Il a été en poste dans plusieurs régions du pays. C’est un joyeux drille. Il était amant de la dive bouteille. Il n’était pas un méchant », a confié en interview au journal le Dr Rony Gilot, ex-ministre de Jean-Claude Duvalier, intellectuel, auteur, dans la série d’ouvrages « Au gré de la mémoire » dont « Namphy ou le rhum amer de la bamboche démocratique ». Henry Namphy a été en 1958 l’assistant commandant de la garde présidentielle de François Duvalier. Il a été choisi par Claude Raymond et François Duvalier. Namphy a fait une longue carrière sous François Duvalier. Il a fait une belle carrière sous Jean-Claude Duvalier. Finalement il était au quartier général. Au départ de Jean-Claude, il a été choisi comme général en chef de l’armée, a rappelé Rony Gilot qui a évoqué des laisser-aller tolérés par Namphy alors qu’on déchoukait, qu’on brûlait des gens après le 7 février 1986. « Il a essayé à un moment donné de mettre fin à cela », a reconnu Rony Gilot. Sur les évènements du 26 avril 1986, Rony Gilot a indiqué que c’est Isodor Ponyon, un « militaire sévère » qui n’a pas voulu que les organisateurs de la marche du souvenir entrent au fort Dimanche où l’armée avait entreposé des explosifs. Les trois personnes mortes ont été électrocutées suite à la chute d’un cable électrique.
Pour le massacre perpétré lors des élections du 29 novembre 1987, Rony Gilot a indiqué « qu’on a imputé tout ça aux militaires parce qu’à la vérité ce sont les militaires qui ont organisé tout ça et qui ont mis fin à partir de midi à ces élections ». « Il y a eu beaucoup de morts, semble-t-il. Il y a eu surtout cet épisode macabre à la ruelle Vaillant. On a imputé tout ça à Namphy mais Namphy s’en est toujours défendu», se souvient Rony Gilot qui, évoquant les élections de janvier 1988, a souligné que tout le monde savait que Leslie Manigat a été choisi par les militaires pour devenir président d’Haïti. En ce qui concerne le coup d’Etat contre Manigat perpétré le 17 juin 1988, « Namphy a toujours dit qu’il n’avait pas organisé le coup d’Etat mais qu’on était venu le chercher pour l’emmener au palais », a poursuivi Rony Gilot. Sur le 17 septembre 1988, date du renversement de Henry Namphy du pouvoir, Rony Gilot explique « qu’il semblerait que ce jour-là il a juré de ne plus remettre les pieds en Haïti » à cause du mauvais traitement que lui aurait infligé des soldats. « Sa femme est morte, il a conduit le cercueil à la frontière. Il n’a pas traversé la frontière. Il a refusé de revenir », a indiqué Rony Gilot.
Prosper Avril, « boulversé » par cette disparition, admire l’honnêteté de Namphy, un président mal compris.
« Je suis renversé par cette nouvelle. J’ai été le voir il n’y a pas deux mois à l’hôpital. Je savais qu’il devait partir mais pas aussi vite. C’est la volonté de Dieu. Je salut respectueusement la dépouille de ce frère d’arme. Il est mon aîné. Il fut selon moi un militaire de haut calibre qui aimait charnellement son pays. Il fut un officier honnête, loyal, d’une rectitude sans faille », a confié au journal l’ex-président et général en chef de l’armée, Prosper Avril. « J’ai toujours admiré son honnêteté, sa rectitude dans son travail. Je crois aussi sincèrement qu’il nourrissait le rêve de réaliser l’unité de la nation qu’il n’a pas pu faire. Vous vous rappelez le mot qu’il répétait sans cesse dans ses discours « vive la nation haïtienne à tout jamais unie » », a indiqué l’ex-président Prosper Avril. « Mon impression est qu’il a été mal compris. Les circonstances ont empêché aussi qu’il réalisât ce qu’il voulait faire », a-t-il poursuivi, soulignant que la mort de Namphy est « un grand coup pour le pays ». « Je crois qu’en tant que citoyen haïtien qui a occupé de si hautes fonctions, je ne peux que me courber devant sa dépouille. Cet homme qui a porté le fardeau, la charge de diriger ce pays si difficile », a insisté Prosper Avril qui souligne avoir eu l’occasion de collaborer avec Henry Namphy en tant que chef de son secrétariat quand il était président.
Interrogé sur ce que l’histoire retiendra de Namphy, Prosper Avril a indiqué que « la vraie histoire se ferait pas connaitre immédiatement ». « Je crois que si l’on prend le temps d’analyser son parcours, il y a des hauts et des bas, des erreurs que commet tout chef d’Etat. Mais si on regarde par exemple les trois tomes de lois et actes qu’il a laissés au pays par exemple, on voit que beaucoup d’organisations et institutions ont été structurées sous son gouvernement, pendant sa gestion. Il appartiendra à l’histoire de bien fouillé quand auront cessé les passions », a répondu Prosper Avril. « Je ne peux pas vous dire exactement mais ce qu’on retiendra, c’est qu’il a dirigé dans une époque très difficile de notre histoire. Il a cru quand même faire de son mieux pour essayer de relever le pays », a-t-il renchéri, affirmant au passage n’avoir développé aucune animosité avec Henry Namphy. Le 17 septembre 1988, Prosper Avril a indiqué que le départ imminent de Henry Namphy était un « coup dur » pour ses collaborateurs. « Quand il devait partir, cela a été toute une affaire. Les gens qui sont au dehors ne peuvent pas comprendre les relations entre des militaires qui travaillent ensemble. Quand le général Namphy s’est trouvé dans cette situation, moi-même, c’était un coup dur pour nous qui étions dans son secrétariat. J’ai dû le remplacer. Cela a été un effort pour moi. Je ne savait même pas que cela allait être moi », a assuré Prosper Avril. « Si je n’avais pas fait ce geste-là pour le pays, personne ne savait ce qui allait arriver ce soir-là. Mais lui aussi le général Namphy le sait. C’est pourquoi il n’y a jamais eu d’animosité », a-t-il dit, estimant qu’il faut de la sérénité et l’étiolement des passions pour écrire l’histoire.
Roberson Alphonse