Publié le 2018-06-12 | Le Nouvelliste
National –
L’administration américaine a imposé ce mardi 12 juin 2018 de lourdes sanctions au sénateur et homme d’affaires dominicain Félix Ramon Bautista Rosario, accusé d’avoir participé à des actes de corruption en Haïti après le séisme de 2010, annonce le Miami Herald. En l’espace d’une journée, le sénateur a vu tous ses biens et actifs se trouvant aux États-Unis gelés, son visa américain ainsi que ceux des membres de sa famille annulés et les citoyens américains sont désormais interdits de faire affaire avec les cinq entreprises détenues ou contrôlées par Bautista.
Très influent en République dominicaine, à la fois politiquement et économiquement, le sénateur Félix Bautista, actuel secrétaire du Parti de la libération dominicaine (PLD), le parti au pouvoir, et dépositaire d’une fortune de 40 milliards de pesos dominicains (plus de 900 millions de dollars américains), vient d’être sanctionné par le Bureau du Contrôle des Actifs Étrangers (OFAC, en anglais) du Département du Trésor américain et le Département d’Etat.
En effet, le sénateur Bautista aurait commis d’importants actes de corruption en République dominicaine et en Haïti, et a été publiquement accusé de blanchiment d’argent et de détournement de fonds. « Le sénateur Bautista a utilisé sa position pour faire de la corruption, notamment en profitant des efforts humanitaires liés à la reconstruction d’Haïti […] », a déclaré Sigal Mandelker, sous-secrétaire au Trésor pour le terrorisme et le renseignement financier soulignant que les sanctions interviennent dans le cadre de la loi Magnitsky adoptée par le Congrès américain en 2012.
http://www.miamiherald.com/latest-news/article213050284.html
Le sénateur Evalière Beauplan, en charge de la commission d’approfondissement de l’enquête sur l’utilisation du fonds PetroCaribe, n’est pas surpris de la décision des autorités américaines concernant le puissant homme d’affaires Félix Bautista. Le sénateur du Nord-Ouest note qu’il faut l’intervention des Américains pour que l’on rende justice au peuple haïtien.
Sans cacher avoir partagé toutes les informations dont il dispose avec la communauté internationale, Evalière Beauplan souligne que les Américains interviennent à partir du dossier d’enquête mené par Youri Latortue et lui.
Après le séisme de 2010, les entreprises de Bautista ont reçu plus de 200 millions de dollars américains de contrats controversés, sans appel d’offres, du gouvernement haïtien pour qu’elles reconstruisent des ministères, des bâtiments administratifs détruits et construisent des logements sociaux. Le Miami Herald souligne que très peu de ces projets ont été exécutés, la mauvaise qualité des travaux de construction et l’abandon des chantiers par les firmes dominicaines.
L’OFAC interdit donc aux personnes physiques et morales américaines de faire des transactions financières et commerciales avec Bautista Rosario ainsi qu’avec les cinq sociétés auxquelles il est lié : Constructora Hadom SA, Soluciones Eléctricas y Mecánicas Hadom S.R.L., Seymeh Ingeniería SRL, Inmobiliaria Rofi SA et Constructora Rofi SA.
Le gouvernement haïtien a versé à l’une de ces entreprises de construction susmentionnées, Constructora Hadom SA, 10 millions de dollars d’un contrat de 14,7 millions de dollars pour construire le bâtiment du ministère des Affaires étrangères qui s’est effondré pendant le tremblement de terre. Le bâtiment n’a jamais été construit, rapporte le Miami Herald.
Ce contrat ainsi que plusieurs autres obtenus de manière irrégulière par les firmes du sénateur dominicain font l’objet de l’enquête sur le fonds PetroCaribe lancée à l’instigation de la commission Ethique et Anticorruption du Sénat de la République d’Haïti. A cet effet, le sénateur Evalière Beauplan se dit scandalisé que 10 millions de dollars aient été versés à la firme de Bautista qui n’a rien fait.
Il a dézingué le président Jovenel Moïse et certains de ses collaborateurs immédiats. « Quand on parle de PetroCaribe, le président Jovenel Moïse a des explications à donner parce qu’il a deux entreprises concernées par PetroCaribe. L’une dans un dossier de lampadaires, l’autre dans la construction d’une route en terre battue pour 35 millions de gourdes pendant la campagne électorale. Il ne sera jamais d’accord pour que justice soit faite parce qu’il est concerné. L’équipe impliquée dans PetroCaribe est autour de lui », a indiqué le sénateur Evalière Beauplan, estimant que les Américains utilisent le dossier Baustita pour arriver jusqu’au président Jovenel Moïse dont la maladresse sur le plan diplomatique a fait perdre en une tournée trois partenaires à Haïti : les Etats-Unis, la Chine et le Venezuela.
Par ailleurs, en mars 2015, le sénateur Félix Bautista a bénéficié d’une ordonnance de “non-lieu” de la Cour suprême de justice de son pays prononcée en sa faveur suite aux accusations de corruption et de blanchiment d’argent qui pesaient sur lui. Selon la conclusion de la plus haute instance judiciaire dominicaine à l’époque, la poursuite n’a pas réussi à prouver la perpétration de malversation ou de détournement de fonds publics contre le sénateur Félix Bautista, ni à apporter la preuve que ce dernier a mis en place un réseau d’entreprises pour l’enrichissement illicite.
Le candidat à la présidence briguant l’investiture du Parti de la libération dominicaine (PLD), Francisco Dominguez Brito, a appelé à la révocation de Félix Bautista comme secrétaire de son parti peu après le communiqué de l’ambassade des États-Unis à Santo Domingo annonçant l’annulation du visa du sénateur de San Juan de la Maguana en plus de celui de sa femme et de ses 5 enfants, encore mineurs.
« Comment une personne impliquée dans tant de scandales et, dans ce cas, poursuivie internationalement, avec gel de fonds et autres mesures, peut-elle être responsable de la gestion de toutes les structures politiques au sein de notre parti? Assez, c’est assez, il doit y avoir des conséquences […] », a déclaré, indigné, Dominguez Brito, candidat à la présidence.
Dans des interviews accordées à des journaux dominicains, Bautista a toujours nié les irrégularités dans l’obtention des contrats, clamant qu’ils ont été attribués légalement à ces entreprises. Selon le Département du Trésor, Bautista aurait distribué des pots-de-vin et utilisé ses relations comme sénateur pour remporter des marchés publics octroyés dans le cadre de la reconstruction d’Haïti.
Le nom de Félix Bautista vient rallonger la longue liste de 33 personnes et entreprises sanctionnées par l’OFAC, depuis janvier 2017, pour violation des droits de l’homme et corruption dans au moins 10 pays.
Patrick Saint-Pré
Auteur
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