By Rezo Nodwes -19 octobre 2021
par Henri Piquion
Mardi 19 octobre 2021 ((rezonodwes.com))–
Pourquoi faut-il qu’aujourd’hui encore je sois à cette table pour dire adieu à Mérès Weche après tant d’autres qui ont été des parents, des amis, des collaborateurs, des compagnons de lutte, des complices dans l’espoir que le pays qui nous oppresse tant maintenant qui était hier terre de poésie sera demain terre de liberté.
Demain est encore à venir. Ils sont partis l’un après l’autre vers la non-existence nous laissant spectateurs et acteurs du spectacle de la déchéance nationale. Au rythme où le maître du destin les efface devant moi je n’aurai bientôt personne à qui dire que son amitié, son humeur, son courage, son intelligence me manqueront. Je n’aurai bientôt personne à qui rappeler tel moment, telle conversation, tel livre, mais aussi telle manifestation. Jusqu’à ce que ce soit mon tour de faire dire de moi que j’ai été.
J’ai rencontré Mérès alors qu’il venait d’ouvrir une galerie d’art, DiaspoArt, sur la rue Beaubien à l’ouest de St Denis. Il fallait avoir la foi pour vouloir vendre des tableaux en ce lieu dans les années 75-80. À cette époque je venais de faire l’acquisition d’un immeuble le 333-335 rue Émery dans le Quartier latin entre l’UQAM et le Cegep du Vieux-Montréal.
J’ai alors offert à Mérès d’emménager DiaspoArt dans le rez-de-chaussée de l’immeuble. La galerie ne désemplissait pas, mais personne n’achetait. Le Quartier latin était à l’époque (aujourd’hui encore peut-être) le village des étudiants et des professeurs désargentés. Il était aussi fréquenté par une petite bourgeoisie en formation (les enfants de la Révolution tranquille) qui découvrait un nouveau genre de vie, une nouvelle cuisine et apprenait à boire du vin dans les cafés et les bistrots de la rue Ontario et dans les restaurants branchés de la rue St-Denis.
Personne donc pour se payer un tableau. DiaspoArt était devenu un lieu de flânerie et de blaguerie où les connaisseurs parlaient de lumières, de couleurs et de formes pendant que les autres écoutaient. J’étais des autres.
N’étant pas doué pour compter je me suis libéré de mes migraines de pseudo-investisseur en me débarrassant à perte de l’immeuble non sans avoir demandé à l’acquéreur, un riche Japonais déjà propriétaire de trois restaurants, de laisser à Mérès le temps de trouver un local qu’il pourrait payer. Je ne crois pas qu’il en ait jamais trouvé, mais qu’importe car entre temps il avait exploré le quartier et découvert sur la rue Ontario le café Thélem qui ne réussissait pas aussi bien que les petits bistrots regroupés sur le trottoir d’en face, côté sud.
Le propriétaire, un Nord-Africain, amoureux de Belles-Lettres, a tout de suite compris que Mérès était son sauveur. Il lui garantissait chaque dimanche une clientèle de consommateurs paisibles et éclairés, presque tous teneurs de plumes, des gens connus ou en formation. Il n’y avait pas que des poètes, mais ils étaient les plus visibles. Tout d’ailleurs était à l’ordre du jour, et ceux qui avaient quelque chose à dire pouvaient s’exprimer.
Au café Thélem Mérès a été plus grand qu’on ne s’y attendait. Il animait, mais le faisait avec disponibilité, générosité, justice et sans préjugé. Il planifiait, prévoyait, accommodait et s’assurait que les participants, à quelque titre qu’ils fussent présents, rentraient chez eux heureux d’une agréable soirée, mais surtout contents que notre pays récupérerait un jour toute cette richesse humaine qui grelottait dans ce pays du nord.
Disons-le, Mérès n’était pas seul à préparer ces rencontres. Il y avait Étienne Télémaque, efficace et discret, et surtout Lélia Lebon, notre petite sœur à tous, intouchable et intouchée. Personne n’osait lui dire plus qu’il ne fallait de peur de se faire répondre qu’elle n’était pas là pour ça. En effet, elle était là pour la poésie et la beauté du verbe. Si elle était la muse des poètes qui ont dû souvent penser à elle, pour moi, elle était déjà l’avenir d’une réflexion haïtienne originale, la féminisation de la rationalité.
Quoique ancien séminariste, formé dans la tradition de la vérité révélée, Mérès était d’une grande tolérance idéologique. Il n’était pas un homme de conflit, mais de concorde, et donnait l’impression d’avoir remplacé la foi rigide qui divise et exclut par la connaissance qui facilite le dialogue et s’enrichit en permanence de l’apport de l’autre.
Il était un philosophe de formation, un homme de culture. Journaliste de tous les médias et écrivain apprécié de ses lecteurs, il communiquait de préférence par la peinture qui lui permettait d’exprimer sa perception de notre pays, beau mais déchiré. L’histoire était aussi pour lui une source d’inspiration, et l’un de ses derniers tableaux Le dernier entretien qui montre le Roi Christophe et son épouse la Reine Marie-Louise en conversation peu avant le suicide du Roi est une leçon de dignité et de grandeur à commenter dans les écoles du pays et les académies de peinture.
Nous sommes tous les deux retournés dans le pays après le départ du président Duvalier. Détenteurs tous les deux d’une carte de presse nous pouvions circuler sans contrainte dans Port-au-Prince à cette époque de « grève manche longue » et de violence bruyante mais pas encore totalement criminelle; malgré l’impréparation évidente des équipes dirigeantes qui naviguaient à vue et de leurs vis-à-vis connus sous différents noms dont le groupe des 52 (sic) qui se souciaient encore de la souveraineté du pays; malgré tout ce qu’on a pu dire, très justement, du délabrement croissant du pays pendant les 5 années qui ont suivi le 7 février 1986, personne n’aurait prévu que le pays, tout le pays, pas seulement Port-au-Prince, serait divisé en caciquats dirigés par des organisations populaires terroristes désignées sous la désignation générique de gangs armés. En mourant si opportunément aujourd’hui Mérès ne verra pas la suite.
Mérès Weche laissera le souvenir d’un ami fiable, fidèle, qui a fait de l’honnêteté et de la modestie des vertus cardinales. Cependant quand le temps aura passé, et qu’on pensera avoir tout dit de lui, il s’en trouvera toujours quelqu’un pour rappeler que sa qualité première était son attachement filial à Bomont sa ville natale qu’il a fait connaître dans tous ses contours géographiques, historiques, sociaux et culturels; qu’il a fait aimer d’amour à ceux qui n’ont pas eu la chance de la visiter. Nous avons tous souhaité voir se réaliser les rêves de grandeur, de développement et de concorde qu’il nourrissait pour Bomont, pour sa ville qu’il a tant aimée qu’elle est devenue la nôtre.
Ne tenant pas à dire Adieu à Mérès, je terminerai par cette déclaration d’amitié que Lélia Lebon lui a adressée au nom de nous tous : « Ne t’en va pas trop loin! »