Haïti ne mérite pas cela

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8 janvier 2020

Mercredi 8 janvier 2020 – Une situation est réelle lorsqu’on est conscient de son existence. Et c’est cette conscience qui va nous pousser à agir en vue de changer les choses, lorsque cela est possible.

Depuis bientôt deux ans, Haïti connaît une situation qui préoccupe tous les esprits, sauf ceux des plus irresponsables. La crise sociopolitique qui sévit actuellement en Haïti présente un caractère très original, car elle a totalement supprimé les classes sociales. En face de cette crise, il n’y a ni nobles ni prêtres, ni gens à talents, ni intellectuels ni ignorants, ni femmes ni hommes, ni vieillards ni jeunes, ni croyants ni incrédules, ni riches ni pauvres, à part quelques rares exceptions. Mais toute la société en général en fait les frais.

En effet, cette crise qui parait complexe se manifeste par un phénomène qui, par sa généralisation ou son institutionnalisation, devient l’élément qui retient l’attention de tous. C’et donc l’insécurité. De nos jours, en Haïti, les délinquants opèrent en toute quiétude, comme si le pays leur appartenait à eux seuls. Etant donné les méthodes violentes, grossières et odieuses utilisées par les bandits, il s’avère difficile de présenter les bilans humain et économique de ce fléau.

Pourtant, cette situation qui sévit au cœur même de la capitale haïtienne et dans les principales villes du pays, laisse quasi indifférents ceux qui se disent soi-disant garants des libertés et de la protection des citoyens. En toute logique, il est inconcevable que des crimes crapuleux puissent être commis au sein d’une société organisée, sans qu’il n’y ait une réponse adaptée de la part des autorités publiques. Mais dans le cas d’Haïti, c’est une autre chose.

En tant que patriote, je perçois le laxisme des autorités haïtiennes, par rapport au banditisme, comme une agressivité répugnante à l’encontre de la population. De plus, les explications politiques  auxquelles on a droit sont à la mesure des  personnages que sont nos politiciens traditionnels.

Partout, des voix s’élèvent pour condamner les actes de barbarie qui ont déjà causé la mort de dizaines de membres du corps social. Mais du côté des autorités, rien n’a été fait jusqu’ici pour traquer les criminels coupables de tels actes et d’autres crimes contre les femmes et les enfants, afin de les punir conformément à la loi. Il est un fait certain que même la chance ne sourit pas à ceux qui n’ont rien cherché, mais plus on court après, plus on sollicite la chance. Ainsi, on ne peut réussir le pari d’arriver à bout de ce fléau que si et seulement si on mobilise les ressources nécessaires à cet effet.

 La restauration et le maintien de la paix et l’égalité sociales sont-ils l’objectif visé par la justice haïtienne ? Si dans les affaires de banditisme, comme dans le cas de kidnapping, on ne peut pas parler de partialité de la justice, ne pourrait-on pas mettre l’accent sur la corruption des juges ?

En tout cas, certaines déclarations de certains anciens hauts responsables de la police ne laissent planer aucun doute quant à l’absence d’honnêteté de certains juges haïtiens. Parce que, selon eux, les bandits appréhendés se retrouvent en liberté une fois qu’ils ont été confiés à la justice. Or, de la même manière qu’il existe des mesures d’exception pour le trafic de stupéfiants et le terrorisme, il devrait y avoir des règles d’exception pour le banditisme. Mais hélas ! Le bien-être des citoyens est loin d’être la préoccupation politique de ceux qui sont placés au pouvoir. On peut même aller jusqu’à se demander si certains politiciens n’utilisent pas le service des gangs armés pour régler leurs comptes personnels. A qui profite le crime ?

Je refuse de comprendre que des bandits qui utilisent les moyens téléphoniques pour communiquer avec la presse et les parents de victimes, par exemple dans les cas de kidnapping, puissent ne pas être localisés et cernés ! Je refuse de croire que les moyens pouvant permettre de telles réalisations puissent être plus coûteux que les largesses dont bénéficient certains parlementaires corrompus.

Quelles que soient les raisons de la perpétuation de ce fléau, il est urgent de constituer des juridictions spécialisées, évidemment placées sous le signe de l’efficacité, afin de bien juger de tels délinquants. Ces tribunaux, en raison de leur compétence, doivent avoir une organisation particulière. C’est un moyen de dissuader tous ceux qui ont la velléité d’intégrer cette entreprise qu’est devenu le banditisme, en Haïti.

Car au moment où Haïti connaît une crise alimentaire dont la dimension vertigineuse pourrait bien devenir « génocidaire », le problème de l’insécurité est venu comme un coup de couteau dans la plaie.

Alors, faut-il abandonner la population à elle-même ? Faut-il remplacer le droit par l’anarchie ? Faut-il laisser le pays aux bandits pour aller vivre ailleurs ? Non ! Ce n’est pas la solution. Haïti est notre patrie, elle est l’incarnation même de nos valeurs. Même si très souvent c’est la consternation face à des soi-disant dirigeants qui ne pensent jamais au sens et à la valeur du mot patrie. Ils ne priorisent jamais les valeurs nationales. Pourtant, il suffirait seulement de se rappeler les prouesses de nos ancêtres qui ont affronté la mort pour que nous ayons aujourd’hui ce pays en héritage ; il suffit seulement de penser à toute la douleur, toutes les péripéties, toute l’humiliation qui ont accompagné ce peuple tout au long de son histoire, pour se dire qu’il faut se comporter en homme ou femme responsable, lorsqu’on est placé au contrôle des choses publiques.

Au Président de la république, il est important de rappeler que lorsque l’on s’engage devant la nation, ce n’est pas un jeu, ni une mince affaire. Lorsque le peuple vous place au pouvoir, ce n’est pas un cadeau ; mais il vous a choisi pour travailler dans son souci. Il s’agit pour vous, en effet, de gérer le plus correctement possible les biens publics au profit de toute la collectivité. Il s’agit de défendre les intérêts de la nation contre tout intérêt particulier, de garantir la paix sociale, de défendre la nation contre toute ingérence étrangère. Il s’agit enfin de travailler au développement et au progrès de toute la communauté.

Il importe aussi de rappeler qu’il n’y a pas plus irresponsable qu’un président qui demande à son peuple qu’on se regarde les yeux dans les yeux. Il n’y a pas plus incompétent qu’un responsable de la sécurité publique ou de la police qui pense que l’on peut improviser une lutte contre l’insécurité. Diriger c’est prévoir, et pour prévoir il faut savoir !

La population a exprimé son ras-le-bol à travers tout le pays et elle attend des réponses concrètes. Est-ce que la justice, la police et l’exécutif ont entendu ses cris ? Est-ce qu’ils peuvent ressentir la douleur des victimes ? Peut-être réagiront-ils afin de mettre fin à cette situation qui commence à devenir nauséabonde. Car Haïti ne doit pas devenir un enfer pour ses enfants.

Auristel HYPPOLITE
Psychologue, criminologue