Jeudi 28 novembre 2019 –
Pétion-Ville, le 25 novembre2019
Me. Jacques LAFONTANT
Substitut du commissaire du gouvernement
Et commissaire Ad. Interim
Monsieur le commissaire A.I,
L’ingénieur Frantz Vérella, propriétaire, demeurant et domicilié à Pétion-Ville identifié aux Nos. 003-174-698-2 et 01-01-99-1953-06-00072 a requis les services de notre cabinet à l’effet de répondre à votre correspondance qualifiée de convocation en date du 25 novembre 2019 par laquelle vous formulez des menaces ouvertes contre sa liberté.
Monsieur le commissaire A.I,
La Convention américaine relative aux droits de l’homme dite Pacte de San José de Costa Rica signée à San José de Costa Rica le 22 novembre 1969 ratifiée par Haïti le 18 août 1979 (voir Le Moniteur du 1er octobre 1979), en son article 8 prévoit des garanties judiciaires pour toute personne consistant par le droit d’être entendue par un juge ou un tribunal compétent indépendant et impartial établi antérieurement par la loi.
Sans s’arrêter sur le fondement de la plainte déposée par l’État haïtien et sur l’existence ou non de faits documentés ou non contenus dans ladite plainte ; l’obligation vous est faite, en votre qualité de partie poursuivante -en cette matière-, une fois la décision de poursuivre, de saisir le juge d’instruction. (Article 51 du Code d’instruction criminelle « CIC ».)
Or, au lieu de faire ce que dit la loi, qui est en ce domaine, très stricte, vous avez décidé de vous transformer en juge d’instruction afin d’instruire vous-même et obéir à la « volonté du Prince ».
Votre convocation précise : « Vous êtes invité pour une deuxième et dernière fois à vous présenter au parquet de ce ressort, le mercredi que l’on comptera 27 novembre 2019 à 10 heures du matin, ce, pour répondre (et nous soulignons) des faits de faux en écriture privée » etc…. sic… et de conclure en nota bene que « faute par vous de vous présenter au jour, à la date et à l’heure susdits, le parquet, organe de la poursuite pénale, prendra telles mesures que de droit. »
La menace ne saurait être plus explicite.
Demander, Monsieur le commissaire A.I, à une personne de répondre par-devant vous, son adversaire principal, puisque vous êtes la partie poursuivante et elle, la partie poursuivie c’est violer la règle de la compétence et le principe de la séparation entre la poursuite et l’instruction par le cumul des deux fonctions ; lequel cumul menace dangereusement le fragile équilibre d’un procès équitable.
Pensez-vous Monsieur le Commissaire qu’il soit possible, dans ces conditions, d’avoir en votre parquet, un débat équilibré ?
L’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques consacre l’égalité des armes par-devant la justice. Cette égalité suppose une posture où le citoyen poursuivi peut présenter sa thèse par-devant une autorité impartiale.
Pensez-vous qu’en étant juge et partie, vous puissiez garantir à un citoyen votre impartialité ?
Votre démarche, monsieur le commissaire A.I, contrevient aux dispositions de l’article 37 du Code d’instruction criminelle sur la manière de procéder du commissaire du gouvernement en l’absence de flagrant délit. Ce texte est clair et explicite. Nous le reproduisons ci-après :
« Hors les cas de flagrant délit prévu par l’article 22 CIC, le commissaire du gouvernement instruit, soit par une dénonciation, soit par toute autre voie, qu’il a été commis dans son ressort, un crime ou un délit, ou qu’une personne qui en est prévenue se trouve dans son ressort, sera tenu de requérir qu’il en soit informé, même de se transporter, s’il en est besoin, sur les lieux, afin d’y dresser tous les procès-verbaux nécessaires, ainsi qu’il sera dit au chapitre « Des juges d’instruction ».
La Cour de cassation de la République, dans plusieurs arrêts, a construit une jurisprudence fondée sur la séparation du droit de poursuivre qui est mis en œuvre par le commissaire du gouvernement et le droit d’informer qui relève de la compétence exclusive du juge d’instruction en dehors des deux exceptions prévues par l’article 22 et 36 du Code d’instruction criminelle « CIC ».
• Arrêts 14 mai 1941 et 17 juillet 1945 in CIC annoté par Jean Vandal, page 25 arrêt b) et e)
L’article 51 du Code d’instruction criminelle précise :
« Les plaintes qui auraient été formées devant le commissaire du gouvernement seront par lui transmises au juge d’instruction avec son réquisitoire ; celles qui auraient été présentées aux officiers auxiliaires de police seront par eux envoyées au commissaire, et transmises par lui au juge d’instruction, aussi avec son réquisitoire ».
Il est donc clair que votre seule mission légale est de saisir par un réquisitoire d’informer le juge d’instruction, une fois saisi par la plainte de l’État haïtien.
La garantie d’un citoyen dans la justice est surtout sa prévisibilité, c’est-à-dire que les citoyens savent d’avance l’attitude d’un fonctionnaire face à une situation donnée. En l’espèce, le citoyen ne peut comprendre votre acharnement à vouloir instruire tandis que pour les cas PetroCaribe ou le cas des 7 mercenaires, le parquet informé avait vite fait, sans aucun acte préparatoire ou préliminaire, de saisir le cabinet d’instruction.
Les déclarations arrogantes faites par les avocats de la partie plaignante, l’État haïtien et votre insistance à instruire comme juge et partie ce dossier augurent une ère de piétinement du droit. Je vous rappelle, Monsieur le Commissaire a.i., que le passé nous enseigne que d’autres commissaires, poussés par les mêmes intrigants et pourfendeurs de l’État de droit, ont vite compris que la défaite du droit est provisoire.
Les organisations des droits de l’homme prendront acte ainsi que le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire.
Citoyen de ce pays et détenteur de droit, l’ingénieur Frantz Verella vous renouvelle, monsieur le Commissaire du gouvernement par intérim, sa ferme volonté de répondre à toute convocation émanant d’un fonctionnaire légalement compétent et décline humblement toute invitation non conforme à la loi.
Respectueusement,
Pour l’ingénieur Frantz Vérella
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Camille LEBLANC, av.-
CC. – Organisations des droits de l’homme
– CSPJ