By Rezo Nodwes -23 septembre 2019
Édentée, déshabillée, dépouillée, dévalorisée, rançonnée, vilipendée, vendue, toute nue, dépourvue d’hôpitaux, d’universités, de cinémas, de parcs sportifs, de centres de loisir,…, l’ancienne Perle des Antilles est ravagée par un phénomène de kokoratisation accélérée
L’image d’Haïti est fidèlement capturée et caricaturée dans une capitale nauséabonde, infecte et répugnante, caractérisée par des cohabitations malsaines, indignes et indigestes d’un luxe pharaonique qui caresse une crasse deshumanisante. Des brouettes remplies de bananes, de viande de cabris, de cochon, de poulet et de salamis ; des « biznis crème maïs » sonores, ambulants et des véhicules flambants neufs officiels, teintés et blindés se croisent, se parlent, se klaxonnent, se côtoient en série, en parallèle et se frottent quotidiennement dans les trafics routiers, sur les « highways », dans les corridors, sur les cadavres, sur les ordures…
Les déshonorables parlementaires marchandent, négocient, s’injurient, se fâchent et se réconcilient avec nos valeureuses « Madan Sara », nos marchandes installées à l’entrée du palais bicaméral, décrépites par le soleil brûlant, rescapées quotidiennement des balles de Kakout, Arnel, Ti-Je, Gro-Je et NenKankan.
A l’ordre du jour, du salami, des lots de bananes, de patates, des fruits et légumes, du poisson, des ailes et des cuisses de poulets, des « tombées » de cabris, des pieds de porc et de bœuf, exposés à même le sol. Le débat chronophage est houleux entre les consommateurs « Cons Sans Temps »[1], les imposteurs en costume qui tirent pendant des dizaines de minutes, sur la corde des prix, avec les mères des Ti-Sentaniz et des Ti-Joël.
On ne fait pas ici un plaidoyer insensé pour l’ostracisme et une certaine aristocratie des représentants du peuple et des pères conscrits face à nos braves mères qui défient, à tout bout de champ, les menaces de viols, de vols et d’assassinats, en quête de moyens pour subvenir aux besoins de leurs familles. Mais, de quorum et prudence obligent, un poste sacré ne se galvaude pas dans de sempiternelles discussions entre une offre maladroitement présentée et une demande officielle indigne pour arriver à un certain prix d’équilibre sur un marché bruyant, envahi par la saleté et par des mouches.
Le kokoratisme s’impose dans toutes les sphères de la vie sociale
La résidence actuelle de la présidence, exposée à proximité à des voisins et des voisines indésirables et non désirées qui prennent leurs bains dans des gobelets, qui font du « zin », amplifient la pollution sonore avec leurs mini génératrices pour préparer des jus pots-pourris, monter leurs réchauds de hotdogs et de salami, est une démence additionnelle qui défraie la chronique et qui étonne l’intuition et le bon sens dans cette généralisation de l’indécence et de la kokoratisation démesurée des humains et des institutions honorifiques. Devrait-on déduire qu’un président occupe la résidence qu’il mérite ?
Les multimillionnaires, les vrais comme les faux, les loyaux comme les déloyaux, les mulâtres comme les noirs, du public comme du privé, hommes et femmes, roulent de grosses cylindrées luxueuses sur les routes trouées, sur les ponts fissurés, les stationnent dans les boues nauséeuses et marécageuses, devant les édifices fendillés et obliqués par le séisme, avant de mettre leurs pieds par terre, par des acrobaties, sur la pointe des pieds, pour entrer s’installer « confortablement » dans leurs bureaux, leurs business et leurs affaires pour se perdre dans des « brasses » financières licites ou illicites, légaux ou illégaux, à longueur de journée.
On s’en fout des odeurs puantes, des cris des oiseaux et des animaux fous, des pollutions sonores des sirènes, des disputes des amateurs de cartes et de dominos aux alentours. On s’en fout des mendicités humiliantes des enfants des rues, des jeunes femmes prostituées par la précarité et la misère, des jeunes garçons abêtis « Bos la, Patron, Papa, manman la vi, Se ou ki Bondye nou wi, ban m yon adoken, baz ! ». On s’en fout des cadavres jonchés sur le pavé, sur les fatras, dans les trous d’égout. « Brase Nap Brase » !
L’essentiel pour ces indignes « riches » dédaigneux, indifférents, insouciants et insensibles à la misère de l’autre et du bien-être collectif, consiste à amasser le plus de billets rouges et de billets verts possibles, pour renflouer leurs comptes bancaires, verdir les sacs de billets rouges afin de les transférer sur des comptes bancaires chez l’Oncle Sam, en Europe ou chez le voisin. Plus tard, en guise de compensation à leurs poumons exposés aux pollutions propagées par les immondices, ces millionnaires indécents vont s’exhiber dans des excursions, des croisières onéreuses et des voyages dispendieux à Boca Raton, Punta Cana, Hawaii, Venise, Vérone, Londres, Manhattan, Dubai,…
Ils ne donnent rien en retour ; ils ne contribuent pas à l’amélioration des conditions de vies des communautés dans lesquelles ils s’enrichissent. Au contraire, ils exploitent les travailleurs jusqu’à la dernière goutte de sang en leur offrant de misérables salaires, pendant que ces employés leur fournissent de loyaux services en y travaillant sans relâche. Pourtant, à peine s’ils ont accès à des pauses, des congés annuels, de maternité, de maladies, des plans de retraite, de réparations en cas d’accidents, etc. Hormis de rares exceptions, ces patrons sont sans pitié, sans indulgence, sans respect pour leurs semblables qu’ils considèrent comme des bêtes de somme, des objets entre leurs mains qu’ils invectivent, humilient et marginalisent. Une véritable forme d’esclavage moderne.
N’étaient les anticipations rationnelles, la dextérité et la prévoyance de nos courageux bayacous pour conduire leurs missions impossibles à l’aube du jour, les espaces climatisés et parfumés des déshonorables officiels auraient failli à résister aux odeurs fétides des excréments à destination du Bicentenaire et du Littoral. Ah oui, les racketteurs, les caméléons et « entrepreneurs » politiques se seraient retrouvés dans l’obligation de faire demi-tour, au bercail, au risque d’embaumer le palais, la primature, le parlement, les édifices publics et privés, cette fois-ci, de leurs valises et leurs vestes infectées par les odeurs nauséabondes susceptibles de défier la climatisation et les arômes des parfums Gucci ou Dolce Cabana.
Message séculaire véhiculé par le Docteur Jean Price Mars dans « La Vocation de l’Elite », la destinée d’un pays doit être l’apanage des hommes et des femmes dignes, honnêtes, compétents, capables de concevoir des mouvements d’idées, alimenter des réflexions, des aspirations et des inspirations complexes pour freiner la kokoratisation et redonner le goût de la qualité, de l’esthétique et de l’excellence aux âmes bafouées par ce régime, champion de la kokoratisation.
Carly Dollin
carlydollin@gmail.com