Affaire Magalie Habitant : Mesure de sûreté ou mesure conservatoire?

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By Rezo Nodwes -15 août 2019

Jeudi 15 août 2019 ((rezonodwes.com))– Cet article n’a pas la prétention d’exposer en profondeur un cours sur les mesures de sûreté privatives et restrictives de liberté. L’ordonnance audacieuse du juge instructeur Jean Osner PETIT PAPA en date du 14 août 2019 nous conduit à apporter un éclaircissement sur la dénomination de certains termes juridiques utilisés dans la pratique au sein de notre ordre juridique.

En l’espèce, le magistrat instructeur a ordonné au Directeur Général du service de la migration et de l’immigration d’interdire Madame Magalie HABITAT de quitter le territoire haïtien. Cette ordonnance appelle notre réflexion sur le régime juridique et protecteur des mesures privatives et restrictives de liberté dans le processus répressif.

Pour rappel, le droit à la sûreté est l’élément indicateur de l’existence de l’État de droit au sein de toute société démocratique. Il semble être le premier des droits qui doit être respecté dans le processus judiciaire.  Si l’État détient le monopole de la violence criminelle au regard de la sécurité publique, il n’est pas négligeable que les inégalités de traitement heurtent considérablement le  fonctionnement de la société.

Ces inégalités sont fréquemment constatées dans l’articulation entre le couple « droits/ libertés » et la répression dans le processus répressif. Montesquieu en fut le précurseur à travers son célèbre ouvrage en affirmant que « la liberté politique consiste dans la sûreté, ou du moins dans l’opinion que l’on a de sa sûreté. Cette sûreté n’est jamais plus attaquée que dans les accusations publiques ou privées: c’est donc de la bonté des lois criminelles que dépend principalement la liberté des citoyens » ( Montesquieu, De L’Esprit des lois, livre XII, chap. II, in OEuvres complètes, Pais, Galimmard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1951, p. 431.).

Ainsi, l’acception de la notion de mesures privatives et restrictive de liberté parait déterminant tant sur la plan national (I)  que sur le plan supranational (II)  pour faciliter la compréhension de leur répression.  

I- L’acception juridique nationale de la notion de mesures de sûreté

En effet, il importer de rappeler que la mesure de sûreté touche à la fois la sûreté personnelle et la liberté individuelle. Cela dit, ce n’est pas toutes les libertés qui constituent une mesure de sûreté. Car la sûreté personnelle implique la privation totale de la liberté de mouvement de l’individu (son enfermement), tandis que la liberté individuelle regroupe un ensemble de libertés, comme par exemple la sûreté personnelle, la liberté d’aller et de venir, la liberté à la vie privée, la liberté de mariage, la liberté d’expression etc. Alors, même si la liberté individuelle et  la liberté d’aller et de venir entretiennent des rapports très étroits mais elles se recoupent : car la liberté d’aller et de venir est une liberté individuelle mais l’inverse n’est pas forcément vrai.

Inspiré de la Déclaration Universelle des droits de l’homme de 1948 ( Préambule de la Constitution de 1987 issu de l’article 3 DUHC : «  Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ». De ce fait, la sûreté personnelle, liée à la liberté individuelle, est consacrée par l’article 24 de la Constitution de 1987 en vigueur et vise exclusivement les personnes physiques. Plus loin, la Constitution est explicite sur la notion de mesures privatives et restrictives de liberté au sens qu’elle affirme à l’article 24. 1 que «  nul ne peut être poursuivi, arrêté ou détenu que dans les cas prévus par la loi et selon les formes qu’elle prescrit ».

Alors, il ne fait aucun doute que cet article implique la privation de liberté puisque l’arrestation entraîne forcément la garde à vue ( même de courte durée) et le mot « détenu » implique l’enferment de l’individu, c’est-à-dire l’impossibilité pour ce dernier de disposer de sa liberté de mouvement. En outre, la Constitution prolonge la liberté individuelle à l’article 25 en proclamant que « Toute rigueur ou contrainte qui n’est pas nécessaire pour appréhender une personne ou la maintenir en détention, toute pression morale ou brutalité physique notamment pendant l’interrogation sont interdites ».

Les constituants se sont inspirés sèchement de l’article 9 de la Déclaration Universelle des droits de l’homme de 1948 qui affirme que « Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé ». Au regard de cette disposition constitutionnelle, ce ne sont que les mesures restrictives de liberté qui sont visées, autrement dit la liberté d’aller et de venir ou liberté de circuler. Donc, la combinaison de ces dispositions constitutionnelles et conventionnelles admet les mesures privatives et restrictives de liberté décidées par la puissance publique mais entourent les atteintes portées à la personne physique d’un certain nombre de garanties pour éviter les arrestations et détentions arbitraires et illégales.

La mesure d’interdiction de quitter le territoire décidée par ce juge instructeur, comme celle décidée par le juge Chavannes ETIENNE dans le cadre de l’affaire La Saline à l’encontre de Monsieur MONCHERY, n’est pas forcément illégale. Toutefois, cette mesure devrait/doit s’analyser en une mesure de sûreté restrictive de liberté, qui peut devenir par la suite privative de liberté eu égard à sa  limitation dans le temps. Car même si la personne physique n’est pas privée totalement de sa liberté de mouvement, la sévérité de la contrainte judiciaire peut se revêtir le caractère privatif de liberté(CIADH, Nadege Dorzema et al. c. République dominicaine, 24 octobre 2012, Série C n° 251, §§ 124-144.).

II- L’internationalisation de la conception de privation de liberté

À la vérité, la conceptualisation internationale de la la privation exceptionnelle de liberté doit son origine à la Magna Carta Liberatum anglaise qui a institué l’habeas corpus ( Article 39 de la Magna Carta Liberatum, « Aucun homme libre ne sera saisi, ni emprisonné ou dépossédé de ses biens, déclaré hors-la-loi, exilé ou exécuté, de quelques manières que ce soit. Nous ne le condamnerons pas non plus à l’emprisonnement sans un jugement légal de ses pairs, conforme aux lois du pays ». Cette disposition se réfère à la notion du droit à la liberté pour  interdire toute entrave à la liberté de mouvement de l’individu avant d’établir sa culpabilité à travers un jugement. C’est de cet article 39 dont se sont inspirés les droits constitutionnels anglais (Habeas corpus Act de 1679.), français (  Art. 7, DDHC de 1789; art. 66 de la Constitution de 1958) et haïtien (Art. 24, op. cit.) pour consacrer le droit à la liberté de leurs citoyens.

Ainsi, l’internationalisation de la privation de liberté n’entend pas se substituer au système répressif des Etats mais il vise à lutter contre les atteintes arbitraires et illégales à l’encontre des personnes physiques. Ce que Michel Foucault appelle la pénalité moderne ( M. Foucault, Surveiller et punir, Paris: Gallimard, 1975, pp. 268-269.).

De cette façon, il est évident que le droit international des droits de l’homme établit un équilibre entre la protection judiciaire contre des mesures privatives/ restrictives de liberté arbitraires et le respect de la souveraineté pénale des Etats ( L. Hennebel et H. Tigroudja, Traité de droit international des Droits de l’home, 2e éd. A. PEDONE). C’est sur la base de cette conception libérale instituée de l’habeas corpus que la Déclaration universelle  des droits de l’homme et du citoyen (Art. 3, DUHC : «  Tout individu a droit à la vie à la liberté et à la sûreté de sa personne ».- Art. 9 DUHC : «   Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé » et  le Pacte International des droits civils et politiques ( Art. 9 : « Tout individu a droit à la liberté et la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs, et conformément à la procédure prévue par la loi » affirment que « la liberté » doit être le principe au sein d’une société démocratique, et la privation de liberté l’exception ».

Dès lors, cette analyse juridique servirait non seulement  un instrument considérable aux juristes, voire profanes, pour préférer la dénomination de mesure de sûreté à celle conservatoire dans le cadre de l’interdiction de quitter le territoire décidée concurremment soit par le juge d’instruction soit par le Commissaire du Gouvernement mais également un indicateur au législateur et au Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique sur la nécessité d’encadrer cette mesure attentatoire à la liberté individuelle d’un régime juridique.

`Fait à Paris, le 15 août 2019.

             Me. Guerby BLAISE
     Doctorant-chercheur en Droit pénal 
     Et Procédure pénale à  Paris Nanterre 
     Avocat et Professeur à l’Université
E-mail : kronmavie@icloud.com